9 août 2013

Marianne n'est pas française

Le nom "Marianne" vient de Marie-Anne, association de deux noms très courants à l'époque de la Révolution. Ces noms sont issus pour l'un de la Bible (Marie, la mère de Jésus) et pour l'autre d'écrits ultérieurs (Anne serait le nom de la mère de Marie), deux noms qu'on retrouve largement dans la tradition catholique romaine.

Pourtant, ce sera la IIIe république qui fera de l'allégorique Marianne une "déesse au bonnet rouge" (Clovis Hugues, Lettre de Marianne aux Républicains, 1871). Le culte de la personnalité, centré sur Napoléon, devait laisser place à une nouvelle figure emblématique et historique, comme en témoigne un fort renouveau d'intérêt pour Jeanne d'Arc à cette époque. 


On personnifia alors la République en une femme qui symbolisait à la fois la Révolution (le peuple, par ce nom composé) et la mère (nourricière, éducatrice, consolatrice), prenant la place de Marie dans l'inconscient du peuple (Marie étant alors elle-même emblème de l’Église, mater et magistra).


"Au XIXe siècle, Marianne a fait l'objet d'une véritable dévotion populaire. On trouvait dans le commerce quantité de petits bustes en bronze ou en plâtre qui prenaient place chez les républicains fervents, à l'instar du crucifix ou de la statuette religieuse dans les foyers catholiques.

- Les bustes de Marianne (sur le site de l'Assemblée Nationale).

Signe et sceau de liberté


La pratique d'imprimer une effigie de Marianne sur les timbres remonte à la fin de la Seconde Guerre Mondiale - elle continue ainsi d'affranchir quotidiennement. Il y aurait beaucoup à dire sur les similarités entre les conséquences de la Révolution et de la Seconde Guerre Mondiale, mais passons pour l'instant.

Notre nouveau Président élu vient de sélectionner, comme le veut la tradition, un nouveau visage pour Marianne, qui servira à illustrer la série des 15 timbres postaux ordinaires. Il a choisi le modèle proposé par deux artistes militants pour le "Mariage pour tous", Olivier Ciappa et David Kawena, qui n'ont pas caché s'être principalement inspirés d'Inna Shevchenko, la jeune femme ukrainienne fondatrice des Femen.

"Ça me semblait évident que la Marianne de la Révolution, outre le fait qu’elle était sein nu, aurait été une Femen. La liberté, l’égalité, la fraternité ce sont les valeurs des Femen".

 - Olivier Ciappa.

Racisme idéologique ?

Le choix d'un visage étranger pour représenter Marianne en a surpris plus d'un. Et pourtant, ça ne devrait pas nous surprendre, pour peu qu'on sache réellement qui est Marianne. Explication :

Cette Marianne au sein nu à laquelle fait référence Mr Ciappa n'est autre que celle du fameux tableau de Delacroix, la Liberté guidant le peuple. Le sein nu est un symbole d'émancipation, comme le bonnet phrygien, d'où le titre du tableau qui confond volontairement Marianne (la République) et la liberté, le tout par la révolution. En l'occurrence, bien qu'il se soit inspiré de la Révolution de 1789, le peintre représentait ici la Révolution de 1830, qui remplacera une monarchie par une autre (Louis-Philippe succédant au despotique Charles X). Le rapprochement est-il pertinent ? Plus encore qu'on ne le pense, car il ne s'agit pas seulement d'un "esprit révolutionnaire" qui anime le peuple et le mène à sa libération, mais une véritable répétition du combat pour la place de "Dieu des Français" (ou devrais-je dire déesse ?).

Évidemment, la "vraisemblance poétique devait l'emporter sur la véracité d'un simple reportage" (Jörg Traeger, L'épiphanie de la Liberté, p.11). En interprétant les révolutions à travers la lentille idéaliste de la liberté, on  arrive à la République puisqu'elle est l'incarnation de la liberté (d'où la confusion entre les deux). La révolution est le sacrifice sanglant qui se répète dans l'histoire (et qu'on répète symboliquement au 14 juillet), libérant les sociétés de l'emprise esclavagiste des corps et des esprits qu'exercent la monarchie et la religion, en leur fournissant un nouveau fondement d'unité.

Or cette prétention ne peut s'arrêter à un seul pays, elle est universelle (comme la Révolution, les Droits de l'Homme, la Sécurité Sociale, etc.), d'où la validité du choix de l'artiste. S'étonner qu'on choisisse les traits d'une étrangère pour inspirer Marianne, c'est se tromper sur l'identité de cette dernière. Marianne, c'est la France républicaine qui se prétend être l'incarnation du salut, pour le genre humain et par le genre humain.

Ce n'est pas un hasard si au lendemain de la Révolution l'Assemblée Nationale a baptisé d'Ancien Régime la période qui a précédé la République et donné naissance à un nouveau messie éternel, la Marianne française et républicaine : c'est le parallèle exact de la Bible, avec l'Ancien Testament et la naissance de Jésus. Mais si bibliquement les juifs étaient le peuple élu pour la Révélation, du point de vue républicain, les français sont le peuple élu pour la Révolution, et la République fait figure de Nouvelle Alliance.

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