29 juillet 2013

Sacrée France : La Restauration (1815-1848)

Les citations du lundi dans cette série sur la République se passeront souvent de commentaires, néanmoins tu en retrouveras parfois quelques extraits dans mes articles du vendredi, ainsi qu'un peu plus de contexte historique. Sur ce, bonne lecture !
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"Abdiquerons-nous volontairement enfin cependant ce que la conquête d'Alger nous a donné sur le mahométisme dans tout l'Orient, et que nous perdrions le jour même où le drapeau français s'abaisserait sur le rivage d'Afrique ?

Non, Messieurs, ce serait renier notre mission et notre gloire ; ce serait trahir la Providence qui nous a fait ses instruments dans la conquête la plus juste, peut-être qu'une nation ait jamais accomplie ; ce serait mépriser le sang de ces braves que nous avons sacrifié dans cet assaut donné à la barbarie ; et la pensée de l'abandon d'Alger, qu'heureusement le ministère vient de répudier, resterait éternellement comme un remords sur la date de cette année, sur la Chambre et sur le Gouvernement qui l'aurait consenti."

- Alphonse de Lamartine, 1834, Discours à la Chambre des Députés sur la colonisation totale de l'Algérie.


"Pour que la libre pensée soit contagieuse, il faut que les peuples aient subi de longues préparations, plus divines encore qu’humaines. Ils n’en sont pas là. Le jour où ils en seront là, la pensée française, mûrie par tout ce qu’elle aura vu et tout ce qu’elle aura fait, loin de perdre les rois, les sauvera. (...)

[La France est la] Rome de la civilisation future, affaiblie matériellement, mais moralement agrandie ; métropole de l’humanité, comme l’autre Rome l’est de la chrétienté, regagnant en influence plus qu’elle n’aurait perdu en territoire, retrouvant sous une autre forme la suprématie qui lui appartient et qu’on ne lui enlèvera pas, remplaçant sa vieille prépondérance militaire par un formidable pouvoir spirituel qui ferait palpiter le monde."

- Victor Hugo, 1842, Le Rhin, XV.


"Le jour où, se souvenant qu'elle fut et doit être le salut du genre humain, la France s'entourera de ses enfants et leur enseignera la France, comme foi et comme religion, elle se retrouvera vivante et solide comme le globe (...) [notre pays] est le seul qui ait droit de s'enseigner ainsi lui-même parce qu'il est celui qui a le plus confondu son intérêt et sa destinée avec celui de l'humanité".

- Jules Michelet, 1846, Le Peuple.


"Une expérience journalière fait reconnaître que les Français vont instinctivement au pouvoir ; ils n'aiment point la liberté ; l'égalité seule est leur idole. Or, l'égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes. Sous ces deux rapports, Napoléon avait sa source au cœur des Français, militairement inclinés vers la puissance, démocratiquement amoureux du niveau. 
Monté au trône, il y fit asseoir le peuple avec lui ; roi prolétaire, il humilia les rois et les nobles dans ses antichambres ; il nivela les rangs, non en les abaissant, mais en les élevant : le niveau descendant aurait charmé davantage l'envie plébéienne, le niveau ascendant a plus flatté son orgueil. La vanité française se bouffit aussi de la supériorité que Bonaparte nous donna sur le reste de l'Europe ; une autre cause de la popularité de Napoléon tient à l'affliction de ses derniers jours. 
Après sa mort, à mesure que l'on connut mieux ce qu'il avait souffert à Sainte-Hélène, on commença à s'attendrir ; on oublia sa tyrannie pour se souvenir qu'après avoir d'abord vaincu nos ennemis, qu'après les avoir ensuite attirés en France, il nous avait défendus contre eux ; nous nous figurons qu'il nous sauverait aujourd'hui de la honte où nous sommes : sa renommée nous fut ramenée par son infortune ; sa gloire a profité de son malheur.
Enfin les miracles de ses armes ont ensorcelé la jeunesse, en nous apprenant à adorer la force brutale. Sa fortune inouïe a laissé à l'outrecuidance de chaque ambition l'espoir d'arriver où il était parvenu."

- F.-R. de Chateaubriand, 1848, Mémoires d'Outre-Tombe (chapitre 6).

26 juillet 2013

Les deux romaines : L'Eglise et la République

Par nature, la République est divine : une et indivisible, absolue, éternelle, et aux valeurs qui transcendent l'humanité (rien que ça). Par sa forme, elle recopie l’Église Catholique Romaine, d'abord dans ses sacrements :

- Le pas si antinomique "baptême républicain",
- La confirmation trouve son équivalent dans le droit de vote au suffrage universel direct et la journée d'appel à la défense,
- Le mariage civil, décliné et modifié à volonté, devient souvent au passage devant le maire une cérémonie ritualisée et pompeuse à la gloire de la République,
- L'eucharistie s'est muée en Fête Nationale où l'on commémore la victoire libératrice et sanglante qui nous réconcilie et nous réunit avec le peuple Français et son État,
- L'ordination, c'est la fonction publique,
- L'extrême-onction a pour pendant républicain la Sécurité Sociale,
- La confession, c'est la Laïcité : s'y conformer, c'est confesser son péché, en affirmant qu'on ne devrait jamais préférer aux vertus républicaines les vices de la religion.

Ensuite dans ses cultes populaires :

- Le football devient l'occasion de chanter par milliers La Marseillaise, un(e) hymne à la Libération sanglante (et si certains refusent impunément de la chanter, cela froisse néanmoins le peuple),
- On canonise les martyrs des deux guerres dites "mondiales" (encore cette prétention à l'universalisme), les monuments à leur gloire post-mortem sont dans chaque village et leur commémoration devient une seconde eucharistie le 11 novembre... dulce et decorum est pro patria mori ("Il est doux et honorable de mourir pour la patrie", vers du poète romain Horace, Les Odes, III.2.13, repris par les partisans de la guerre de 14-18),
- La vénération des saints qui glorifient l'Eglise Catholique laisse place au moment de la Révolution à celle des héros civiques, puis à la Restauration au culte des grands hommes, avec les Lumières, à la célébration des hommes vertueux "qui ont répandu sur le genre humain les bienfaits du savoir, de la législation et du progrès scientifique" (C. Amalvi, L'exemple des grands hommes de l'Histoire de France à l'école et au foyer, 1814-1914, vol.28, p.93 - 1998) - bref tout ce qui glorifie la République, l’État, et la Raison, enfin aujourd'hui le Panthéon et le soldat inconnu au-dessus duquel brûle une flamme éternelle... 
- La IIIe République a même essayé de récupérer Jeanne d'Arc pour la reconvertir en égérie laïque à l'époque le culte de Napoléon déclinait : en 1878, Victor Hugo proposait de consacrer une fête laïque à "la fille du peuple, trahie par le Roi, brûlée par l’Église", et en 1885 on la faisait figurer en couverture du Livre d'Or de la Patrie aux côtés de Vercingétorix sur un autel dominé par La Marseillaise de Rude, qui orne l'Arc de Triomphe (monument dont le commanditaire n'est autre que... Napoléon).

"[L'équation française est] héritée du catholicisme romain et universel, et de l'absolutisme royal. Hors de France, point de salut ! La France républicaine, avec un tel système de représentations mentales qui imprègne tous les espaces affectifs, culturels, linguistiques, administratifs, politiques, voire économiques, pense détenir une vérité intemporelle qui a déjà pensé ce que nous devons penser et qui dit ce que nous devons dire."

     - Alem Surre Garcia, "La Théocratie Républicaine : les avatars du sacré".

Considère enfin que toi-même tu es certainement pris par cette mentalité, toi qui trouves certainement normal que lors de la naturalisation les étrangers doivent promettre que "l'appartenance à la communauté Française doit primer sur les autres solidarités".

Alors, c'est facile de critiquer, mais qu'est-ce que je propose ? Il y aurait beaucoup à dire et à faire pour dé-sacraliser la République en France. Outre la restauration du pouvoir d'arbitre (3e pouvoir, critique et garde-fou entre le gouvernement de l’État et celui de la religion, que seules la Monarchie Absolue et la République Française ont osé supprimer) et une révision du principe de laïcité, par exemple le vote alternatif (méthode de Coombs ou de Borda) et un certain niveau de distributivisme seraient un bon début. Ultimement, la démocratie n'est bonne et possible qu'à un niveau local, et certainement pas à l'échelle d'un pays, mais ça je t'en reparlerai un autre jour.

22 juillet 2013

Sacrée France : Le 1er Empire (1804-1815)

A sa manière, et à son tour, Napoléon 1er a tenté de recréer par son discours un commencement, celui d'un âge d'or, d'une apogée de l'histoire réécrite de France : "Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne", dira-t-il à Pie VII le jour de son sacre. Il en reprendra d'ailleurs les symboles, notamment l'aigle (hérité des romains) et la cigale (symbole d'immortalité et de résurrection). 

C'est, de plus, en termes de transcendance, de divin, qu'il explique sa réussite : "Une puissance supérieure me pousse à un but que j’ignore. Tant qu’il ne sera pas atteint je serai invulnérable, inébranlable. Dès que je ne lui serai plus nécessaire, une mouche suffira pour me renverser" (rapporté par Max Gallo, dans "Napoléon - tome 1 - Le chant du départ - 1769-1799"). 

Son œuvre est nouvelle et demeurera, comme sa mémoire, immortelle, par ses Écrit(ure)s : "Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante bataille s? Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ? Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil; ce sont les procès-verbaux de mon conseil d'État; ce sont les recueils de ma correspondance avec mes ministres; c'est enfin tout le bien que j'ai fait comme administrateur, comme réorganisateur de la grande famille Française" (rapporté par C.F.T. de Monthollon dans ses Récits de la captivité de l'Empereur Napoléon à Ste Hélène, 1847, I, p.401).

Cette grande idée qu'il se fait de sa destinée convient et convainc dès ses débuts :

"Citoyens Tribuns, le succès et la durée de tout système politique dépendent de la stabilité du Gouvernement, qui y forme comme le point central auquel tout vient aboutir. (...) Pour mieux concevoir cette idée, veuillez, mes collègues, vous reporter un moment par le souvenir à cette époque mémorable de notre révolution où trente millions de Français, par un mouvement spontané, par une volonté unanime, et d'une voix qui fut aussi puissante que celle du créateur au premier jour de l'univers, s'écrièrent : Que l'égalité s'établisse, que les privilèges disparaissent, et que la nation soit tout ce qu'elle doit être. (...)

Ici commence un nouvel ordre de choses."

- Jean-François Curée, 1804, Discours devant l'Assemblée pour que premier consul Napoléon Bonaparte devienne empereur et que le titre soit héréditaire.

19 juillet 2013

Laïcité et 14 juillet

Qu'est-ce que la laïcité ? Selon le Larousse et d'autre ressources spécialisées, c'est une séparation de la société civile et de la société religieuse pour rendre cette première impartiale et neutre car indépendante des conceptions religieuses ou partisanes. 

Quelle blague ! Une culture ne peut pas s'organiser sans son culte. Et si on chasse le sacré, c'est pour mieux prendre sa place : la République Française n'a pas séparé la religion de l'État, ni à la Révolution ni en 1905, au contraire si elle a détrôné l'Église Catholique Romaine c'est afin de mieux la remplacer. C'était l'intention explicite de Robespierre, même si cependant il imaginait qu'après un temps le peuple français oublierait son goût pour le sacré... c'était sans compter la nature profondément religieuse de l'homme (ecce homo religiosus1 - ou homo adorans2).

Marianne est une nouvelle Église, et même plus : c'est par nature une Église ante-Catholique (et donc anti-Catholique), qui voulait être Église à la place de l'Église, comme nous le verrons à loisir dans cette série d'articles. Intéressons-nous aujourd'hui à la fête nationale, que nous avons célébrée il y a peu. Une bonne question à se poser, c'est "qu'a-t-on fêté exactement ?" La "prise" de la Bastille... ?

Retour sur l'histoire...

Motivations. D'abord, ce qui a principalement motivé l'insurrection armée en 1789, c'est la faim et la peur d'une famine organisée pour mater les contestations. La Bastille n'a pas été attaquée comme symbole de l'absolutisme royal : d'une part elle ne renfermait plus que 7 détenus dont aucun n'avait été arrêté par lettre de cachet (d'ailleurs seuls 4 à 5% de sa population fut le résultat d'emprisonnements politiques, le reste concernait des gens incarcérés à la demande de leur famille), d'autre part sa terrible réputation était attribuée en partie aux ministres et non exclusivement au Roi lui-même (S.N.H. Linguet, Mémoires sur la Bastille, 1783).

En réalité, après les armes récupérées aux Invalides, ce sont les stocks de poudre et de munitions que la foule est venue chercher à la Bastille. Et même alors, l'attaque n'a pas eu lieu d'emblée : les négociations, certes tendues, étaient en cours pour la reddition pacifique de la Bastille, quand une explosion fit paniquer les deux camps, débouchant sur un carnage. Bilan, une centaine de morts. Est-ce bien cela qu'on fête chaque été avec un feu d'artifice ? Peut-être.

Pourquoi une réponse aussi vague ? Pas pour le politiquement correct (tu me connais), mais plutôt parce que, dans les faits, on ne sait pas exactement si on fête le 14 juillet 1789 ("Prise" de la Bastille) ou le 14 juillet 1790 (Fête de la Fédération). Et c'est intentionnel : comme nous allons le voir, les deux dates ont des symboliques diamétralement opposées, et c'est bien pour ça qu'en 1880, quand la date du jour est devenue officielle, on a omis de préciser l'année de référence.

Au lendemain de la Révolution, tout le système politique et administratif français est restructuré, et des fédérations de gardes nationales se développent. L’Assemblée Constituante y voit une occasion de réconciliation et d'unité, et propose d'unir toutes les fédérations en une seule, proclamant donc une fête de la Fédération. Lyon en tiendra une le 30 mai. C'est le Général Lafayette qui décréta en 1790 le 14 juillet comme fête nationale, la France et ses fédérations convergent vers Paris pour la célébrer (d'où le défilé militaire du 14 juillet). Ce fut partiellement en hommage aux événements de l'année précédente, et partiellement aussi pour les recouvrir d'un nouveau symbole : la réconciliation et l'unité nationale autour du roi et en présence de l'Église Catholique.

En effet, la messe y est célébrée, on chante le Te Deum (cantique chrétien, traditionnellement réservé aux fêtes) et les officiers prêtent un serment de fidélité à la nation, à la loi et au Roi, serment repris par le peuple. Le tout en présence du Roi, qui prête serment lui aussi. Les parisiens présentant cette célébration à la France entière annonçaient d'ailleurs : "Qu'il sera beau le jour de l'alliance des Français!"... On croirait le catéchisme Catholique sur l'eucharistie, répétition de l'alliance qui unit les chrétiens entre eux et avec leur roi céleste. Le drapeau Français, qui avait jusqu'ici toujours été blanc (couleur de la Royauté), se voit complété par le bleu (couleur de Paris) et le rouge (couleur du peuple) : c'est la réconciliation et l'union des trois qui sera le symbole de la nouvelle France.

La Fête de la Fédération n'est célébrée que deux fois pendant la première République : en 1790 et, avec moins d'enthousiasme, en 1792. La fuite du Roi à Varennes début juillet 1791 empêche l'Assemblée de s'y associer, deux ans plus tard c'est l'assassinat de Marat la veille de la fête qui limite sa célébration à l'enceinte de l'Assemblée. Napoléon 1er proclamera ensuite son anniversaire, le 15 août, comme fête nationale (en plus d'être la fête de l'Assomption de Marie depuis au moins 200 ans). Il faudra attendre 1880 pour que les députés rétablissent le 14 juillet, sans messe ni cantique (bref, sans Dieu), et sans préciser non plus de quel 14 juillet il s'agit, pour ménager les républicains et les conservateurs (c'est donc à plus d'un titre une fête de réconciliation et d'unité). Les célébrations reprendront en 1890.

Que fête-t-on donc ? La plupart des gens pensent fêter la "prise" de la Bastille, mais il est probable que les représentations qu'ils en ont n'aient rien à voir avec la réalité. Et la fêteraient-ils, cette réalité, s'ils y avaient assisté ? Quant à la Fête de la Fédération, à défaut d'en exposer clairement la signification, notre 14 juillet en garde au moins la fonction et les symboles (drapeau, défilé militaire) : vecteur de réconciliation et d'unité nationale. L'Église Républicaine célèbre son eucharistie.
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1 R.R. Marrett, Gilford Lectures, 1932. Expression popularisée par M.Eliade, Le Sacré et le Profane, 1974.
2 Schmemann, 1973.

15 juillet 2013

Sacrée France : la 1ère République (1792-1804)

Les citations du lundi dans cette série sur la République se passeront souvent de commentaires, néanmoins tu en retrouveras parfois quelques extraits dans mes articles du vendredi, ainsi qu'un peu plus de contexte historique. Sur ce, bonne lecture !
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"Vous avez juré d'être unis par les liens indissolubles d'une sainte fraternité, de défendre jusqu'au dernier soupir la constitution de l'Etat, les décrets de l'Assemblée nationale et l'autorité légitime de nos rois. Comme vous, nous avons prêté ce serment auguste; faisons, il en est temps, faisons de ces fédérations une confédération générale. Qu'il sera beau le jour de l'alliance des Français! un peuple de frères, les régénérateurs de l'Empire, un roi citoyen, ralliés par un serment commun à l'autel de la patrie, quel spectacle imposant et nouveau pour les nations! [...] C'est le 14 juillet que nous avons conquis la liberté, ce sera le 14 juillet que nous jurerons de la conserver. Qu'au même jour, à la même heure, un cri général, un cri unanime retentisse dans toutes les parties de l'Empire : Vive la nation, la loi et le roi ! "

- Bourtibonne, Pons de Verdun et Pastoret, 1790, Adresse des citoyens de Paris à tous les Français.



"Laissons les prêtres, et retournons à la divinité. Attachons la morale à des bases éternelles et sacrées; inspirons à l'homme ce respect religieux pour l'homme, ce sentiment profond de ses devoirs, qui est la seule garantie du bonheur social ; nourrissons-le par toutes nos institutions ; que l'éducation publique soit surtout dirigée vers ce but. Vous lui imprimerez sans doute un grand caractère, analogue à la nature de notre gouvernement et à la sublimité des destinées de la République.

Vous sentirez la nécessité de la rendre commune et égale pour tous les Français. Il ne s'agit plus de former des messieurs, mais des citoyens : la patrie a seule droit d'élever ses enfants ; elle ne peut confier ce dépôt à l'orgueil des familles, ni aux préjugés des particuliers, aliments éternels de l'aristocratie et d'un fédéralisme domestique, qui rétrécit les âmes en les isolant, et détruit, avec l'égalité, tous les fondements de l'ordre social."

- Robespierre, 1794, Rapport du 7 mai.


"Donnez-nous, en ce cas, la religion qui convient aux hommes libres. Rendez-nous les dieux du paganisme. (...)

Cessons de redouter, pour nos campagnes l'effet de l'athéisme ; les paysans n'ont-ils pas senti la nécessité de l'anéantissement du culte catholique, si contradictoire aux vrais principes de la liberté ? N'ont-ils-pas vu sans effroi, comme sans douleur, culbuter leurs autels et leurs presbytères ? Ah ! croyez qu'ils renonceront de même à leur ridicule dieu.

Les statues de Mars, de Minerve et de la Liberté seront mises aux endroits les plus remarquables de leurs habitations ; une fête annuelle s'y célébrera tous les ans ; la couronne civique y sera décernée au citoyen qui aura le mieux mérité de la patrie. A l'entrée d'un bois solitaire, Vénus, l'Hymen et l'Amour, érigés sous un temple agreste, recevront l'hommage des amants ; là, ce sera par la main des Grâces que la beauté couronnera la constance. (...)

Quelques vertus au moins écloront de ce culte, tandis qu'il ne naît que des crimes de celui que nous avons eu la faiblesse de professer. Ce culte s'alliera avec la liberté que nous servons ; il l'animera, l'entretiendra, l'embrasera, au lieu que le théisme est par son essence et par sa nature le plus mortel ennemi de la liberté que nous servons."

12 juillet 2013

Sacrée France : Introduction

Tant d'illustres français, hommes d’État, poètes, philosophes, historiens ou romanciers ont employé un vocabulaire religieux pour exprimer leur idée de cet état-nation à la française qu'on en vient à se demander s'il s'agit d'un simple usage métaphorique ou si une telle terminologie est plus essentielle qu'il n'y paraît. L'imaginaire collectif des français est depuis toujours peuplé de termes religieux, mais cela n'aurait-il pas dû s'arrêter, ou tout du moins diminuer, depuis la Révolution ?

La secte des idéologues

Bien au contraire, on nous raconte la République comme une grandiose épopée, une entreprise pionnière, c'est la genèse d'une ère de gloire. On pourrait prendre ça pour une réécriture de l'histoire - c'est autre chose : un réenchantement. On ne cherche pas à légitimer le présent par le passé, mais par l'avenir. L'histoire n'a plus de valeur que si elle nous sert à éviter de répéter les mêmes erreurs, c'est le "devoir de mémoire" - vision utilitariste ô combien malvenue.

Avec le développement du rationalisme et la fusion du pourquoi dans le comment, la société a promu les historiens au rang de prêtres modernes. Il suffit maintenant d'exposer les faits pour prétendre en deviner les motifs profonds... Combien de fois entend-on dans un reportage ou lit-on dans un livre qui se veut sérieux : "On peut imaginer que..." pour introduire une hypothèse sans fondement sur laquelle toute une théorie va être bâtie ? La logique défaillante des pseudo-historiens modernes révèle leur intention de propagande. Se laissera-t-on lentement lobotomiser jusqu'à rejoindre leur secte idéologique ?

Ceux-là opèrent une véritable mythification sous couvert de démythification. On crée un vide, et on le remplit : le passé est envisagé comme un tremplin qui doit mener à un avenir plus glorieux que le présent désenchanté.

"Le sacré s'est investi dans la trace qui en est la négation."
     - Pierre Nora, Lieux de Mémoire, I., p.27.

Hagiographie de Marianne

Est-il encore doux et honorable de mourir pour son pays, autrement dit, le patriotisme existe-t-il encore en France ? Tu serais peut-être prêt à mourir pour ta famille, ou pour de grands idéaux comme la liberté ou l'égalité, mais pour la France ? Moi non. En partie parce que "prêt à mourir" veut plus souvent dire "prêt à tuer" dans un pays où l’État a pris le pas sur la Nation, et en partie aussi parce que je reconnais que "Liberté, Égalité, Fraternité" n'est pas la devise de la France mais le slogan de la République (qui cache sa vraie devise : Laïcité, Propriété, Sécurité). Toute la "grandeur" de la France est dans la République.

Considère l'Allemagne : son identité nationale est fondée sur sa culture, l'Allemagne se considère comme un grand pays parce qu'elle croit l'être par nature. Au contraire, notre identité nationale est fondée sur notre civilisation, la France est un grand pays parce qu'elle a accompli de grandes choses. L'être ou le faire, la Nation ou l’État. C'est en partie pour cela que l'idéologie Nazie a pu prendre en Allemagne, tandis qu'en France on a aveuglément accepté le totalitarisme Républicain.

Pour construire une nation, il faut des fondements communs, dont une histoire avant tout. Or quelle histoire de la France enseigne-t-on ? Ou plutôt, l'histoire de quelle France ? Il suffit de regarder ce que l'on commémore : le 14 juillet, la Marseillaise, le drapeau Français, Marianne dans les mairies et sur les pièces de monnaie... tous les symboles de la nation sont issus de la Révolution. Ce n'est donc pas l'histoire de la nation que l'on enseigne, mais celle de l’État. La France telle qu'on la connaît aujourd'hui, telle qu'on ne peut que l'envisager à tout jamais, est une France-République. Et c'est l'histoire républicaine qu'on réenchante (comprenez : qu'on sacralise).

La religion civile

En France, la mémoire fondatrice de la nation est celle de son État, et implique un réenchantement de cet État : c'est la dimension religieuse de la vie politique. Il faut légitimer l'arbitraire de cette institution de manière permanente, elle a besoin de fondements stables, et donc sacrés, tabous... intangibles (on ne peut pas y toucher).

Es-tu choqué que je remette en cause la Révolution ? Comment réagis-tu si je te dis que la République n'est pas la seule forme de démocratie possible, ni même la meilleure, et certainement pas la plus adaptée à l'échelle d'une nation ? Que dirais-tu encore si je critique le bien-fondé de la laïcité ? N'aurais-tu pas le même avis que la majorité des français, ne dirais-tu pas, comme tout le monde, ce qu'on t'a appris à penser ?

"La Révolution Française n'est pas une transition, c'est une origine et un fantasme d'origine" écrit François Furet, historien spécialiste du sujet (Penser la Révolution Française, 1978). Si on a désacralisé la religion et la monarchie absolue, on a sacralisé cette désacralisation, et à leur place on a installé une religion civile absolue : la République Française. C'est le début de l'histoire, celle qu'on nous raconte tout du moins.

Le transfert du sacré

Suite à la Révolution, on a politiquement désacralisé le religieux et religieusement sacralisé le politique. La Révolution elle-même a immédiatement été célébrée, constituée en histoire, en légende dans laquelle puisera constamment la République. Seule autre source de légende, la Grande Guerre : encore un sacrifice sanglant, encore des martyrs pour la Liberté, encore une réconciliation entre le peuple et l’État. C'est bien l'occasion de célébrer une messe nationale pour commémorer l'Armistice...

On donna une portée illimitée à la Révolution avec la DDHC (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen) - car si "Citoyen" ne fait référence qu'aux Français (c'est-à-dire aux républicains), "Homme" a une prétention universelle. La même portée fut appliquée aux guerres dites "mondiales", et l'ONU qui en résulta pour assurer le fameux devoir de mémoire formula clairement sa prétention avec la DUDH (Déclaration Universelle des Droits de l'Homme) en remplaçant le très limité "citoyen" par l'infini "universel".

En somme, les Français ont un rapport religieux à l'autorité, à la politique, à l'histoire, à l’État, bref, à tout ce qui est censé en être dépourvu depuis la Révolution. Qu'est-ce à dire, sinon que la Révolution en fut bien une, c'est-à-dire un grand tournant qui revient à son point de départ ?

Pour le vérifier, je te propose dans les semaines qui viennent de nous intéresser à deux éléments : d'abord les citations qui éclaireront le rapport constamment religieux des dirigeants politiques et médiatiques en France de 1789 à nos jours; ensuite une comparaison de la République Française à l’Église Catholique et à la Monarchie Absolue.

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Cet article est largement inspirée par l'article de Jean-Paul Willaime, De la sacralisation de la France : Lieux de mémoire et imaginaire national (Archives des sciences sociales des religions, 1998, n°66, p.125-145), qui est un commentaire des Lieux de mémoire de Pierre Nora (La République, 1984; La Nation, 1986; Les France, 1992).