9 septembre 2013

Sacrée France : La 5ème République (depuis 1958)

Les citations du lundi dans cette série sur la République se passeront souvent de commentaires, néanmoins tu en retrouveras parfois quelques extraits dans mes articles du vendredi, ainsi qu'un peu plus de contexte historique. Sur ce, bonne lecture !
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"J'ai pu comparer les deux sacristies, la laïque et la catholique, et j'ai toujours eu le sentiment de deux liturgies".

- Gaston Bonheur1, probablement entre 1958 et 1974, cité dans "La Théocratie Républicaine : les avatars du sacré", p.56.



"Marianne-Mère, c'est le terme que suggérait Gaston Bonheur. (...) Le plus ancien [archétype] et le plus profond (...) est celui de la déesse-mère, terre et eau, fécondité, féminité, culte des fées près des sources, vaguement christianisées (...). 

Marianne cependant, fontaines mises à part, n'a pas séduit seulement nos régions du Midi. La République l'a faite un peu reine de France. Mais une reine ou mère contestée. Et force est bien de constater, pour finir, et pour confirmer ces derniers propos, qu'en termes de psychologie et de symbolique elle a été précisément contestée par des figures masculines de monarque, de père, de chef. Quand l'effigie de la République disparaît de l'emblématique officielle aux lendemains des coups d'État, c'est au profit des visages de Louis-Napoléon Bonaparte, en 1851 ou de Philippe Pétain en 1940. Comme elle eût disparu à plus forte raison au profit de Henri V en 1873. 

Au premier degré de la réflexion on pouvait en conclure que toute monarchie, ou dictature, est un pouvoir personnel symbolisé par le portrait de l'individu gouvernant, tandis que la République, pouvoir collectif et collégial, ne peut avoir que la figure anonyme de l'allégorie. C'est, en gros, à ce premier degré d'analyse que nous nous en étions tenu dans Marianne au Combat : Nous opposions Napoléon-individu à la République-abstraction. Mais nous voilà penchant à y ajouter, au second degré, l'opposition de Napoléon-homme à la République-femme. 

Est-ce légitime ? Oui, à condition que l'on accepte (réserve importante) de connoter l'être masculin d'autorité, de force et de combat, et l'être féminin de conciliation, de douceur et de paix. A condition - répétons-le - que l'on valide ces dernière conventions, l'effigie de Marianne convient mieux en effet à l'idéal théorique de la démocratie républicaine, tandis que les droites monarchique, militaire ou fasciste lui préfèrent évidemment une mâle figure de chef. 

S'il en est bien ainsi, on conclura que, malgré certaines apparences, le véritable mythe antagoniste de la Marianne de France n'a peut-être pas été le mythe chrétien mais le mythe napoléonien, non pas la Sainte Vierge mais le soldat."

- Maurice Agulhon, 1989, Marianne au pouvoir (pages 348 et 349).


"Tous les enfants de France, quelle que soit leur histoire, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur croyance, sont les filles et les fils de la République. Ils doivent être reconnus comme tels, dans le droit mais surtout dans les faits. C'est en veillant au respect de cette exigence, c'est par la refondation de notre politique d'intégration, c'est par notre capacité à faire vivre l'égalité des chances que nous redonnerons toute sa vitalité à notre cohésion nationale. (...) 

Après avoir déchiré la France lors de l'adoption de la grande loi républicaine de séparation des églises et de l’État en 1905, une laïcité apaisée a permis de rassembler tous les Français. A l'épreuve de bientôt un siècle d'existence, elle a montré sa sagesse et recueille l'adhésion de toutes les confessions et de tous les courants de pensée. (...)

L'école est au premier chef le lieu d'acquisition et de transmission des valeurs que nous avons en partage. L'instrument par excellence d'enracinement de l'idée républicaine. (...)  L'école est un sanctuaire républicain que nous devons défendre."

- Jacques Chirac, 2003, discours d'installation de la Commission Stasi sur la laïcité.


"Ici depuis Philippe-Auguste on a été occupé, pillé, ravagé, mais l'on n'a jamais pris les armes contre la France, on n'a jamais songé que l'on pouvait être plus libre en étant moins Français. Ici l'on sait depuis toujours qu'être Français c'est être libre, que la France est pour la liberté une garantie et non une menace. (...)

Qu'est-ce que la France ? La France est un miracle. Ce miracle est politique. Il est intellectuel. Il est moral. Il est culturel. C'est le miracle de la France de conjuguer une identité si forte avec une aspiration si grande à l'universalisme. (...)

C'est le miracle de la France de combiner une aussi haute idée de l'État avec une passion aussi grande de la liberté. (...)

C'est le pays des droits de l'homme, c'est le pays qui récuse le plus le communautarisme qui renvoie chacun à ses origines ethniques et religieuses, c'est le pays de la République, qui s'est toujours battu depuis deux cents ans pour la liberté, l'égalité et la fraternité de tous les hommes. (...)

Qu'est-ce que la France ? La France, c'est la République. (...) C'est la foi dans la raison, dans l'Homme et dans le progrès. (...) Être Français c'est aimer la France, c'est vouloir la République, c'est respecter l'État."

- Nicolas Sarkozy, 2007, Discours à Caen.


"La révolution française est l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est un commencement absolu, c’est la présence et l’incarnation d’un sens, d’une régénération et d’une expiation du peuple français.

1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement par un brusque saut de l’histoire d’un homme nouveau. La révolution est un événement méta-historique, c’est-à-dire un événement religieux. La révolution implique l’oubli total de ce qui précède la révolution.

Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. Et c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi. (...)

Ce qui manque au socialisme pour s’accomplir comme la pensée des temps nouveaux, c’est une religion nouvelle : Donc un nouveau dogme, un nouveau régime, un nouveau culte doivent surgir, afin qu’une nouvelle société prenne la place de l’ancienne. (...)

La laïcité elle-même peut alors apparaître comme cette religion de la République recherchée depuis la Révolution. (...)

C’est au socialisme qu’il va revenir d’incarner la révolution religieuse dont l’humanité a besoin, en étant à la fois une révolution morale et une révolution matérielle, et en mettant la seconde au service de la première."

- Vincent Peillon2, 2008, "La Révolution Française n'est pas terminée", p.17,149, 162 et 195.


"Toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Eglise. Non pas seulement l’Eglise catholique, mais toute Eglise et toute orthodoxie. Déisme humain, humanisation de Jésus, religion sans dogme ni autorité ni Eglise, toute l’opération de la laïcité consiste à ne pas abandonner l’idéal, l’infini, la justice et l’amour, le divin, mais à les reconduire dans le fini sous l’espèce d’une exigence et d’une tâche à la fois intellectuelles, morales et politiques."

- Vincent Peillon, 2010, "Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson", p.277.


"La République a besoin de rites. La démocratie, c’est une véritable religion, elle a besoin de rites pour être reconnue et acceptée."

- Claude Bartolone3, 2013, interrogé par RTL.
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1 Journaliste et écrivain français.
2 Actuel ministre de l'Education Nationale, c'est un des principaux dirigeants du Parti Socialiste.
3 Président de l'Assemblée Nationale.

6 septembre 2013

Idoles Françaises

Le Tour de France

"L'imaginaire nationaliste se voit ritualisé et popularisé en 1903, par la création du Tour de France, épreuve physique qui est bien à regarder comme "un discours amoureux qui n'en finit pas de décrire et de désirer la nation incarnée" et, devons-nous ajouter, mutilée."

- Rober Belot, Henri Frenay : De la Résistance à l'Europe, 2003.

Si la fameuse épreuve cycliste date du début du 20e siècle, elle ne fait que reprendre un mythe de propagande initié en 1877 par le manuel scolaire "Le Tour de France par deux enfants", qui véhicule des préjugés favorables envers la centralisation (notamment parisienne), la légitimité de la langue française (aux dépens des "patois" régionaux et des langues étrangères), la supériorité de la "race blanche" et la position enviable de la France dans le monde, entre autres.

Cette idée du Tour de France fera d'autres ricochets dans la culture française, notamment lors de sa rencontre dans la seconde moitié du 20e siècle d'une BD qui exploite un autre élément important de l'imaginaire français...

Nos ancêtres les Gaulois 

Le Petit Lavisse, le manuel phare de la IIIe République, commençait ainsi : "Autrefois, notre pays s’appelait la Gaule et ses habitants, les Gaulois". Les Français se veulent descendants directs des Gaulois - on en oublierait presque les Francs à l'époque des Lumières - en tous cas exit les Celtes mystiques et les occupants Romains, exit les barbares Visigoths et les immigrants Bretons, exit les minorités juives et les avancées arabo-musulmanes... et vive Vercingétorix ! - figure emblématique s'il en est de la résistance à l'Empire Romain.

Ce mythe ethnique sera popularisé par la BD Astérix le Gaulois, dont l'un des albums, "Le Tour de Gaule", établit des parallèles avec "Le Tour de France par deux enfants". Une culture française idéalisée y sera représentée : les gaulois ont la peau blanche, les cheveux blonds et roux, et des moustaches fournies; ils chassent le sanglier et résistent à l'envahisseur / occupant... et surtout, chaque aventure se conclue par un banquet.

Ajoutons à cela l'emblème national : le Coq, mais pas n'importe lequel, le Coq Gaulois. Certes, Galus veut dire à la fois coq et Gaulois en Latin, une coïncidence qui renforce ces fables arrangées, mais à l'époque, il n'y avait pas une Gaule mais deux : le sud de la France actuelle (Gaule transalpine) et l'Italie (Gaule cisalpine). La Gaule n'a pas de réalité "française" avant la chute de l'Empire Romain d'occident, et aucune tribu gauloise n'a jamais pris le coq pour emblème.

Ce n'est qu'au Moyen-Âge que le coq acquiert une symbolique particulière : il représente la foi et l'espoir. A la Renaissance le symbole est suffisamment répandu pour être populaire et la Révolution le sacre emblème national. S'en suivra une alternance entre le coq et l'aigle impérial (sous les Napoléon) mais au final la reprise de l'aigle par l'empire de Prusse finira de convaincre les français de faire du coq leur emblème exclusif.

La République démocratique

On redécouvre selon que ça nous arrange la généalogie des Francs : ils descendent non pas des "Gaulois" mais des Troyens - et par amalgame on en revient à l'héritage grec de la démocratie...

Aux États-Unis, les deux principaux partis politiques opposés sont le parti Républicain et le parti Démocrate. Une telle opposition n'a aucun sens dans l'esprit français, car on ignore ici (on nous a appris à ignorer) que la République, et surtout telle qu'on la connaît, n'est pas la seule ni forcément la meilleure forme de Démocratie. D'ailleurs nos statues de la République reprennent largement la forme des statues grecques antiques de la démocratie.

Nous sommes dans un système mixte : semi-direct et semi-présidentiel. On ignore les systèmes directs, représentatifs, par tirage au sort ; on ignore les différentes versions de notre système mixte (parlementaire, présidentiel, ou participatif par exemple) ; on ignore que la monarchie n'est pas l'opposé de la démocratie (comme le prouvent la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, le Japon, l'Espagne, le Royaume-Uni et 15 autres pays du Commonwealth, entre autres).

Tout cela parce que la République est le premier système politique de l'Histoire révisée de France qui commence en 1789 (c'est en tous cas ce qu'on choisit de croire, puisqu'on préfère oublier la monarchie constitutionnelle), et ce sera le dernier (qui songerait spontanément à ne serait-ce que changer de système de république aujourd'hui ?). La République est l'alpha et l'oméga de la nouvelle Histoire de France, elle est son origine et son salut, sa conception virginale et sa résurrection (car c'est elle qui l'a fait naître des cendres de la Monarchie Absolue et qui l'a relevé de la Seconde Guerre Mondiale comme de la mort).

Ses attributs sont directement tirés de la Bible. Par exemple, le socle de sa statue sur la place de la République à Paris est orné (outre d'un véritable "chemin de croix" de la République) de trois statues illustrant sa devise : Liberté (portant le bonnet phrygien, parfois au bout d'une pique pour rappeler que la liberté s'acquiert par les armes - c'est-à-dire la Révolution), Egalité (qui tient une Bible et une balance qui symbolise le Jugemement dernier) et Fraternité (symbolisé par un lion et un agneau attelés côte-à-côte et menés par des enfants, ce qui n'est pas sans rappeler Esaïe 11,6). Elle est le messie moderne qui éclaire le genre humain avec ses Tables de la Loi (la DDHC), le libère par sa justice égalitaire et le réconcilie par son dogme fraternaliste. 

2 septembre 2013

Sacrée France : La 4ème République (1946-1958)

Les citations du lundi dans cette série sur la République se passeront souvent de commentaires, néanmoins tu en retrouveras parfois quelques extraits dans mes articles du vendredi, ainsi qu'un peu plus de contexte historique. Sur ce, bonne lecture !
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"Le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et les libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des Droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République."

- Préambule de la Constitution, 1946, complétant la DDHC de 1789.


"La guerre qui vient de finir a bouleversé de fond en comble les conditions de l'existence et de la puissance de la France. Combien même, en 1940, avaient pu croire à notre effondrement ! (...)

C'est alors que la France libre prit en main tous les pouvoirs, autrement dit tous les devoirs. C'est alors qu'elle assuma la responsabilité de conduire la France jusqu'au salut, la charge de maintenir intacts son intégrité, son indépendance et ses droits, la mission de reporter au combat ses armées de terre, de mer et de l'air et de les diriger jusqu'à la complète victoire, l'engagement de lui rendre sa souveraineté sur elle-même, c'est-à-dire la République. (...)

Il est donc arrivé que nous avons vu se remettre debout notre pays gisant sous l'oppression et que les résultats ont correspondu aux buts fixés et aux promesses faites, c'est-à-dire : la victoire remportée, la liberté reconquise, la souveraineté du peuple intégralement rétablie. (...)

Si nous n'étions pas le peuple français, nous pourrions reculer devant la tâche et nous asseoir au bord de la route en nous livrant au Destin. Mais nous sommes le peuple français ! (...) La République, que nous avons fait sortir du tombeau où l'avait d'abord ensevelie le désespoir national, la République que nous avons rêvée tandis que nous luttions pour elle, la République dont il faut qu'elle se confonde maintenant avec notre rénovation, sera l'efficience, la concorde et la liberté."

- Charles De Gaulle, 1947, Discours de Strasbourg.


"Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison. Ce qu'il y a en moi d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle.

J'ai d'instinct l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie.

Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n'est réellement elle-même qu'au premier rang : que seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays tel qu'il est, parmi les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur."

- Charles De Gaulle, 1954, Mémoires de Guerre, tome 1.