30 août 2013

La "voie de la moindre résistance" ?

Le célèbre auteur britannique Samuel Butler écrivit dans ses notes une phrase qui fut souvent reprise : "La croyance, comme tout autre entité mobile, suit la voie de la moindre résistance". On la retrouve notamment dans la bouche du protagoniste de Match Point (de Woody Allen) : "Je crois que la foi est la voie de la moindre résistance".

J'aborderai cette question un autre jour, aujourd'hui je voudrais expliquer pourquoi cette phrase résume si bien la vision Française de la foi, et notamment de la foi chrétienne, et pourquoi la notion de résistance est si importante dans l'imaginaire français. J'ajouterai - si tu es prêt à l'entendre sans t'en offenser - que la résistance n'est et n'a toujours été, par définition, que le fait d'une minorité... tout simplement parce que la majorité ne résiste pas, elle impose.

La Résistance

La Révolution, c'est la France, c'est la République, c'est la Liberté, c'est la Déclaration des Droits de l'Homme, c'est l'athéisme républicain-démocrate humaniste et humanitaire, c'est l'ennemi de toute religion, de toute dictature, de toute restriction. C'est donc toute Résistance. On comprend mieux pourquoi la foi est vue comme une reddition morale et intellectuelle, voire une collaboration.

Après l'assaut spirituel de la IIIe République, les deux grandes guerres mettent en scène un nouvel ennemi ancestral auquel résister : l'Occupant illégitime, qui prend souvent la forme de l'Empire - depuis les Romains qui ont occupé la Gaule (car "Nos ancêtres les Gaulois" sont les seuls qu'on reconnaisse, exit les Celtes et autres) jusqu'au Reich Nazi; plus tard on s'opposera à l'insupportable impérialisme des États-Unis et à leur occupation économique de la France (et militaire de l'Iraq). 

Évidemment, lorsque Napoléon occupait la moitié de l'Europe, ou que l'empire colonial Français lui assurait la première place mondiale, c'était différent. Ben oui, parce que nous, on est les gentils, et on est le peuple élu, c'est normal qu'on domine le monde. Vous reprendrez bien un peu d'universalisme ?

La Résistance, c'est une Révolution en puissance, et c'est même une Révélation : Henri Frenay, le "1er Résistant de France" pendant l'occupation, écrivait que "les hommes que la Résistance a révélés à eux-mêmes" forment "une aristocratie nouvelle du courage et de la volonté" (journal Combat du 25 décembre 1942). L'esprit de la Révolution/Résistance/République n'est autre que l'esprit de l'humanité, mais qui se dévoile d'abord et avant tout chez le peuple Français : le französich Volkgeist a vocation de Weltgeist.

La vérité est ailleurs

Et pourtant, la sacralisation de la Résistance française pendant la seconde guerre n'est qu'une mystification de plus : entre 1940 et 1945 à peine 2% des Français rejoignent la Résistance (auxquels ont peu ajouter 10% de sympathisants), face à 2% également de collaborationnistes (et auxquels ont peu ajouter une estimation de 10% de collaborateurs passifs et dénonciateurs anonymes). Le reste demeure... en attente, même lors de la Libération, ils ont apparemment d'autres chats à fouetter; la palme de la résistance reviendrait plutôt aux Russes. Quelques citations à l'appui :

"Je vais être très dur. Mon beau régiment de cavalerie, quand il a débarqué à Saint Tropez et qu'ensuite il a remonté toute la France pour s'arrêter en panne d'essence en Haute Saône, il pouvait recruter à chaque étape, il avait le droit. Nous avons recruté trois Français. Ils ne voulaient pas venir. On leur disait : - Mais ce n'est pas terminé. Ils répondaient : - Ah, mais nous avons des choses à régler localement. Je n'ai pas eu de mon pays une idée très haute, et puis je n'ai plus fait attention. Je me suis dit : nous irons en Allemagne, nous irons en Autriche, et tant pis pour eux.

- propos de Michel Jobert, rapportés par Ahmed El Maânouni dans Les Goumiers Marocains, 1992.


"Sur les 53 000 Forces Françaises Libres (chiffre maximum à la dissolution des FFL à l'été 1943), on compte environ 32 000 « coloniaux », qui ne sont pas citoyens français en 1940, 16 000 Français et environ 5 000 étrangers (...). Sans goût excessif du paradoxe, on peut affirmer que la majorité des  « Français » libres qui ont sauvé l'honneur du pays en 1940 ne sont pas des citoyens français."

- François Bloche, La France au combat: de l'appel du 18 juin à la victoire, 2004.


"Au total, à l'automne de 1944, la France finira par disposer d'une armée effective de 250 000 hommes composée pour moitié d'éléments indigènes, Maghrébins, Africains et pour moitié d'Européens d'Afrique du Nord."

- Philippe Masson, L'homme en guerre, 1901-2001: de la Marne à Sarajev, 1997.


"Il y a soixante ans, 57 % des Français considéraient l’URSS comme le principal vainqueur de la guerre. En 2004, ils n’étaient plus que 20 %. Amplifié par les médias, cet oubli progressif du rôle de Moscou tient aussi aux polémiques sur la politique de Staline entre 1939 et juin 1941, que des travaux historiques récents éclairent d’un jour nouveau. Mais, quoi qu’on pense du pacte germano-soviétique, comment nier que, trois ans durant, les Russes ont porté une grande partie de la résistance, puis de la contre-offensive face à la Wehrmacht ? Au prix de 20 millions de morts. [...] Si, en 1917-1918, le Reich fut défait à l’Ouest, et surtout par l’armée française, de 1943 à 1945, il le fut à l’Est et par l’Armée rouge."

- Annie Lacroix-Riz, L'Union soviétique par pertes et profits, Le Monde Diplomatique, 2005.

26 août 2013

Sacrée France : Vichy, CFLN et GPRF (1940-1946)

La révolution devient la référence de tout progrès, de tout avenir : être français, c'est faire la révolution, c'est re-créer et régénérer perpétuellement ; et en des temps de troubles où la France se cherche, être vraiment français c'est faire la vraie révolution. Autrement dit, comme toujours, il est temps de redéfinir les termes pour les faire correspondre aux volontés politiques du moment. C'est alors la IIIe République qui se voit affublée de l'appellation "ancien régime" (discours du 11 octobre 1940 et du 12 août 1941).

"L'ordre nouveau est une nécessité française. Nous devrons, tragiquement, réaliser dans la défaite la révolution que, dans la victoire, dans la paix, dans l'entente volontaire de peuples égaux, nous n'avons même pas su concevoir."

"A tous ceux qui attendent aujourd'hui le salut de la France, je tiens à dire que ce salut est d'abord entre nos mains. A tous ceux que de nobles scrupules tiendraient éloignés de notre pensée, je tiens à dire que le premier devoir de tout Français est d'avoir confiance. (...) Celui qui a pris en mains les destinées de la France a le devoir de créer l'atmosphère la plus favorable à la sauvegarde des intérêts du pays. C'est dans l'honneur et pour maintenir l'unité française, une unité de dix siècles, (...) que j'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration. (...)  Gardez votre confiance en la France éternelle !"

"Si la France ne comprenait pas qu'elle est condamnée, par la force des choses, à changer de régime, elle verrait s'ouvrir devant elle l'abîme où l'Espagne de 1936 a failli disparaître et dont elle ne s'est sauvée que par la foi, la jeunesse et le sacrifice. (...) Aujourd'hui, c'est de vous-mêmes que je veux vous sauver. A mon âge, lorsqu'on fait à son pays le don de sa personne, il n'est plus de sacrifice auquel l'on veuille se dérober ; il n'est plus d'autre règle que celle du salut public. Rappelez-vous ceci : un pays battu, s'il se divise, est un pays qui meurt ; un pays battu, s'il sait s'unir, est un pays qui renaît. Vive la France !"

- Maréchal Pétain, 1940-41, discours du 11 et du 30 octobre 1941 et du 12 août 1941.

Il ne faut pas beaucoup pousser les français pour qu'ils reviennent au culte de la personnalité, avec quelques nouveautés, comme l'adoption du salut "à la romaine" (bras tendu, comme le salut de l'Allemagne Nazie et de l'Italie fasciste), rappel qu'une République précède un glorieux Empire.
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De son côté, le Comité Français de Libération Nationale (1940-44) qui se muera en Gouvernement Provisoire de la République Française (44-47), sera marqué par le Général De Gaulle bien sûr mais aussi le résistant puis ministre Henri Frenay, son compagnon de combat le général François Astier de la Vigerie et finalement le Président provisoire Vincent Auriol. On rêve d'abord de réunifier la France, mais plus encore, cette réunification ne peut être envisagée que comme le précurseur de toute réunification : l'Europe et la planète entière suivront nécessairement l'exemple prophétique et instigateur de la France-messie.

"Les États-Unis d’Europe, étape vers l’unité mondiale seront bientôt une réalité vivante pour laquelle nous combattons."

"Je hais par-dessus tout le sectarisme gaulliste. Par-dessus tout ? Oui parfaitement, car pour moi le gaullisme (…) c’est la France (…) et la France, si elle était sectaire, ne serait plus la France."

- Henri Frenay, 1942, dans le journal Combat ; et 1944, dans La Nuit finira.

Frenay, pour sa part, était tout à fait conscient de la force d'un tel mythe, qu'il décelait dans le Nazisme : "Un homme ou un peuple est très fort quand il entre en scène armé d'un mythe. Or le national-socialisme  a fait découvrir au peuple allemand un ensemble de mythes : le mythe de la race, le mythe du soldat politique, le mythe du socialisme allemand qui évaillent tous les échos profonds de l'âme populaire." (propos rapporté par J.-P. Woog dans la Chronique Littéraire de la Gazette du Palais, 23-25 mai 2004).

D'autres reprennent le mythe en termes bibliques au compte du parti qu'ils identifient à la Résistance, c'est-à-dire à la République :

"Fortifié par ses sacrifices, confirmé dans sa doctrine, rénové dans sa composition, le Parti socialiste surgit de la Résistance avec une âme nouvelle, un esprit rajeuni."

- Vincent Auriol, 1944, Congrès national extraordinaire des 9-12 novembre 1944, Archives du PS- SFIO, OURS, p.814.

23 août 2013

La République spirituelle

En 2010, suite à la publication de son livre "Une religion pour la République", l'historien et philosophe socialiste Vincent Peillon, actuel ministre de l’Éducation, accorde une interview à Camille tassel, du magazine Le Monde des religions. Sujet : l'origine, la forme et le fond de la laïcité, et notamment le rôle de la IIIe République qui voulait convertir chaque élève en « Christ républicain ». Extraits choisis :

La IIIe République est-elle spirituelle ?


Quelle est cette religion de la laïcité ?



Quelle est la foi laïque du "Christ Républicain" ?

  

19 août 2013

Sacrée France : La 3ème République (1870-1940)

La IIIe République fut le "poing sur la table" qui fixa définitivement la République en France. Après les révolutions de 1830 et de 1848, après deux Empires napoléoniens qui ont longtemps "interrompu" les desseins républicains, on décide qu'il est temps, presque cent ans après la première tentative d'établir la République en France, de le faire pour de bon. Or si on était en 1790 encore relativement indulgent envers l'Eglise, et attaché à la Monarchie, ce n'est plus le cas du tout en 1870 : ce sont maintenant des ennemis jurés. Louis XIV et Napoléon ont été de grands conquérants, mais leurs successeurs ont définitivement dégouté les Français des abus du pouvoir absolu. Il est temps pour Marianne de se faire un nom aussi glorieux, et de devenir la dirigeante éternelle des Français. Et ainsi, le mythe prend de l'ampleur...
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"Je n'ai pas oublié par quels applaudissements fut saluée mon apparition en 1848 ; je n'ai pas oublié non plus quelle fusillade retentit d'un bout de la France à l'autre lorsque Bonaparte cracha sur le serment qu'il m'avait prêté à la face de l'Europe. Le clergé, qui avait béni les fameux arbres de liberté, célébra sur toutes les gammes du chant grégorien les louanges du gouvernement décembriste ; on cria du haut des chaires soi-disant apostoliques que j'avais travaillé au renversement de la famille, de l'ordre et de quantité d'autres choses respectables ; certains bateleurs de bas étage allèrent jusqu'à dire que j'avais essayé de faire main basse sur les caisses privées ou publique et que le fils d'Hortense avait dû rompre ses engagements avec moi à cause seulement de mes penchants au vol, à la boisson et à la coquetterie. Tous les Pères Tissié de France et de Navarre racontèrent sur mon compte à l'oreille des mères de famille une foule d'histoires à faire peur aux enfants ; Barbe Bleue fut dépassé de quinze kilomètres ; les vieilles femmes ne parlèrent de moi qu'avec la terreur d'une nonne occupée à commettre un péché mortel ; afin de ne pas en perdre l'habitude, on massacra, ça et là, quelques républicains et le tour fut joué à cette brave Marianne qui ne cherche querelle à personne et qui n'oserait pas même bombarder une ville française. (...)

La déesse au bonnet rouge n'a pas encore épuisé les traits qu'elle dirige contre les conspirateurs monarchiques (...)"

- Clovis Hugues, 1871, Lettre de Marianne aux Républicains.

"Le réel étant le miroir de l’idéal, les sociétés s’ordonnent selon la manière dont elles conçoivent l’ordre de l’univers, et les transformations de la politique réfléchissent celles de la pensée religieuse. Le Polythéisme, dont le principe est la pluralité des causes, a pour expression sociale la république. Mais si le Polythéisme s’arrête à la notion des forces, leur hiérarchie se traduit naturellement dans la société : aussi la république romaine est-elle aristocratique. Si la religion s’élève, comme dans l’Hellénisme, à l’idée d’une harmonie de lois indépendantes, le principe d’égalité et de liberté trouve son application dans la démocratie. Nulle part la réalité n’a été si près de l’idéal que dans cette glorieuse commune d’Athènes, qui a inondé le monde de sa lumière, et qui avait dressé au sommet de son acropole la statue de l’invincible Raison. (...)

À la revendication du libre examen des textes sacrés répond, en politique, le système parlementaire ; l’unité du monde est représentée par un Dieu presque abstrait, gouvernant sans miracles au moyen d’une charte, et assez semblable à un roi constitutionnel ou à un président de république moderne. Il faut remarquer que notre système représentatif, même quand le pouvoir central n’est pas héréditaire, n’a rien de commun avec les républiques de l’antiquité, qui avaient pour bases la législation directe et le gouvernement gratuit."



"C'est la gloire de la France d'avoir, par la révolution française, proclamé qu'une nation existe par elle-même. Nous ne devons pas trouver mauvais qu'on nous imite. Le principe des nations est le nôtre."

- Ernest Renan, 1882, conférence "Qu'est-qu'une nation ?" pour exposer la vision française de la nation suite à la défaite de 1870 face à l'Allemagne et l'annexion de l'Alsace-Lorraine.
  

"J'ai vu sur l'Acropole, jonchant la terrasse où s'élève la façade orientale du Parthénon, les débris du petit temple que les Romains, maîtres du monde, avaient élevé en ce lieu à la déesse Rome, et j'avoue que la première idée de cet édifice m'avait paru comme une espèce de profanation. En y songeant mieux, j'ai trouvé que le sacrilège avait son audace sublime.

A la beauté plus parfaite, au droit le plus sacré, Rome savait préférer le salut de Rome, la gloire des armes romaines et, non content de l'en absoudre, le genre humain ne cesse de lui en marquer de la reconnaissance. L’Angleterre contemporaine a donné des exemples de la même implacable vertu antique. Le nationalisme français tend à susciter parmi nous une égale religion de la déesse France.

Il y parviendra, je le crois : il lui sera difficile d'y parvenir sans se rapprocher du sentiments de nos royalistes. Les nationalistes intelligents ne tarderont pas à le voir. La monarchie héréditaire est en France la constitution naturelle, rationnelle, la seule constitution possible du pouvoir central."

- Charles Maurras, 1900, Le Soleil.


"Tel sont nos français dit Dieu. Ils ne sont pas sans défauts. Il s’en faut. Ils ont même beaucoup de défauts. Ils ont plus de défauts que les autres. Mais avec tous leurs défauts je les aime encore mieux que tous les autres (...). O mon peuple français dit Dieu, tu es le seul qui ne fasse point de contorsions (...).

Quant à l’espérance il vaut mieux ne pas en parler: il n’y en a que pour eux. C’est embêtant, dit Dieu, quand il n’y aura plus ces Français. Il y a des choses que je fais. Il n’y aura plus personne pour les comprendre."

- Charles Péguy, 1912, Le mystère des saints innocents.

16 août 2013

La mauvaise foi de l'incroyant

Selon un sondage IFOP de 2011, moins de 20% des Français se déclarent chrétiens pratiquants.

J'aimerais réagir à ça en trois mots.

Chrestomathie : ce qu'il est utile d'apprendre (du grec chrestos, utile et manthein, apprendre). Les sondages d'opinion n'en font pas partie. Ils visent généralement à influencer l'opinion publique plutôt qu'à la mesurer : il est toujours intéressant de voir comment les questions sont posées (dans le sondage cité, on insiste sur l'aspect personnel du rattachement à une religion... typique d'un pays républicain-laïque). Mais peu importe combien de gens prétendent que quelque chose est vrai si ça ne l'est pas, ou comme disait Michel Colucci : "C'est pas parce qu'ils sont nombreux à avoir tort qu'ils ont raison".

Notre société est pleine de personnes endoctrinées, victimes de l'opinion communément admise et des idées reçues, des gens qui croient ce qu'on leur a appris à croire, c'est-à-dire que nos croyances chrétiennes sont fausses, voire dangereuses. Ce faisant ils ne se rendent pas compte qu'ils ont eux aussi des croyances, ni de ce que ces dernière présupposent... et ça, c'est dangereux.

C'est dangereux parce qu'ils agissent comme s'ils étaient une majorité objective et impartiale, et donc habilitée à juger, et à condamner, là où nous ne sommes généralement considérés que comme des superstitieux prisonniers de nos croyances.

Christomachie : lutte contre le Christ (de christos, christ et macheia, combat). Ne pas croire en Dieu n'est une position neutre que si Dieu n'existe pas : si Dieu existe, il n'y a pas de position neutre, il n'y a qu'acceptation ou rejet. L'athée jugera bien sûr de la neutralité de ses croyances sur la base de... ses croyances, et il se trouvera forcément justifié dans son raisonnement. Mais plus encore, si Dieu existe, le non-croyant a au moins deux bonnes raisons de vouloir continuer à nier son existence :

  1. D'abord parce qu'en reconnaissant que Dieu existe, le non-croyant reconnaît l'existence d'un critère absolu de jugement qui lui est extérieur. Autrement dit, il perd l'autonomie de son jugement, il ne peut plus décider uniquement par lui-même du vrai, du faux, du bien, du mal, du juste et de l'injuste, il doit s'en remettre à Dieu. Or quel roi voudrait abdiquer son trône ?
  1. Ensuite, parce qu'en reconnaissant que Dieu existe, le non-croyant reconnaîtrait donc avoir usurpé en partie la place de Dieu en tant que juge suprême pendant un grand nombre d'années, s'exposant par là même à une punition légitime. Or quel coupable voudrait s'exposer à des poursuites judiciaires ?

Critomancie : verdict religieux du juge (du grec krites, juge et manteia, oracle). Comment résoudre le débat si tout le monde juge d'après ses propres croyances, qui l'arbitrera et quel sera le verdict ultime ? Mais cette question suppose que le croyant se trouve dans une position similaire à celle du non-croyant : est-ce le cas ? Il a beaucoup à gagner à réaliser son erreur si c'en est une, et ce d'après les critères qu'il accepte déjà (car comme il est écrit dans la Bible, si Jésus n'est pas ressuscité, notre foi est vaine). D'un autre côté il a aussi à y perdre : toute la cohérence de sa vision du monde. Sa situation est donc plus équilibrée que celle de l'incroyant.

Quant à juger de ses propres croyances, pour le croyant ou l'incroyant, c'est possible, mais il existe une autre méthode que le raisonnement circulaire : à supposer que la cohérence soit un critère de vérité, on peut chercher à vérifier la cohérence de son système de croyances et de sa vision du monde. Cornelius Van Til, grand apologète de la tradition Réformée, prétendait que seul le système chrétien était parfaitement cohérent en soi... (et on verra ça bientôt).

12 août 2013

Sacrée France : Le 2nd Empire (1852-1870)

Les citations du lundi dans cette série sur la République se passeront souvent de commentaires, néanmoins tu en retrouveras parfois quelques extraits dans mes articles du vendredi, ainsi qu'un peu plus de contexte historique. Sur ce, bonne lecture !
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"La Révolution de 1789, n’ayant rien fondé, ne nous a point affranchis, mais seulement changés de misère. (...)

L’ancien régime, fondé sur l’Autorité et la Foi, était essentiellement de Droit divin. Le principe de la souveraineté du Peuple qui y fut plus tard introduit n’en changea point la nature ; et ce serait à tort qu’aujourd’hui, en face des conclusions de la science, on voudrait maintenir entre la monarchie absolue et la monarchie constitutionnelle, entre celle-ci et la république démocratique, une distinction qui ne touche nullement au principe, et n’a été, si j’ose ainsi dire, depuis un siècle, qu’une tactique de la liberté. L’erreur ou la ruse de nos pères a été de faire le peuple souverain à l’image de l’homme-roi ; devant la Révolution mieux entendue, cette mythologie s’évanouit, les nuances de gouvernement s’effacent et suivent le principe dans sa déconfiture. (...)

Dieu et le Roi, l’Église et l’État, telle est, en corps et en âme, l’éternelle contre-révolution. Le triomphe de la liberté, au moyen âge, fut de les séparer, et, ce qui montre l’imbécillité des deux pouvoirs, de leur faire accepter comme un dogme leur propre scission. Maintenant, nous pouvons l’avouer sans péril : devant la philosophie, cette distinction est inadmissible. Qui nie son roi nie son Dieu, et vice versa, il n’y a guère que les républicains de la veille qui refusent de le comprendre. (...)

Il faut pourtant que le catholicisme s’y résigne : l’œuvre suprême de la Révolution, au dix-neuvième siècle, est de l’abroger."

- Joseph Proudhon, 1851, Idée générale de la Révolution au 19e siècle.


"La révolution française est donc une révolution politique qui a opéré à la manière et qui a pris en quelque chose l'aspect d'une révolution religieuse. Voyez par quels traits particuliers et caractéristiques elle achève de ressembler à ces dernières : non seulement elle se répand au loin comme elles, mais, comme elles, elle y pénètre par la prédication et la propagande. Une révolution politique qui inspire le prosélytisme ; qu'on prêche aussi ardemment aux étrangers qu'on l'accomplit avec passion chez soi ; considérez quel nouveau spectacle ! (...) 

On aurait donc bien tort de croire que l'ancien régime fut un temps de servilité et de dépendance. Il y régnait beaucoup plus de liberté que de nos jours; mais c'était une espèce de liberté irrégulière et intermittente, toujours contractée dans la limite des classes, toujours liée à l'idée d'exception et de privilège, qui permettait presque autant de braver la loi que l'arbitraire, et n'allait presque jamais jusqu'à fournir à tous les citoyens les garanties les plus naturelles et les plus nécessaires. (...)
Mais si cette sorte de liberté déréglée et malsaine préparait les Français à renverser le despotisme, elle les rendait moins propres qu'aucun autre peuple, peut-être, à fonder à sa place l'empire paisible et libre des lois. (...)

Dans la Révolution Française, les lois religieuses ayant été abolies en même temps que les lois civiles étaient renversées, l'esprit humain perdit entièrement son assiette; il ne sut plus à quoi se retenir ni où s'arrêter, et l'on vit apparaître des révolutionnaires d'une espèce inconnue, qui portèrent l'audace jusqu'à la folie, qu'aucune nouveauté ne put surprendre, aucun scrupule ralentir, et qui n'hésitèrent jamais devant l'exécution d'aucun dessein. Et il ne faut pas croire que ces êtres nouveaux aient été la création isolée et éphémère d'un moment, destinés à passer avec lui; ils ont formé depuis une race qui s'est perpétuée et répandue dans toutes les parties civilisées de la terre, qui partout a conservé la même physionomie, les mêmes passions, le même caractère. Nous l'avons trouvée dans le monde en naissant; elle est encore sous nos yeux. (...) 

En même temps que [la centralisation] se relevait, tout ce qui avait pu autrefois la limiter restait détruit, des entrailles mêmes d'une nation qui venait de renverser la royauté on vit sortir tout à coup un pouvoir plus étendu, plus détaillé, plus absolu que celui qui avait été exercé par aucun de nos rois.
L'entreprise parut d'une témérité extraordinaire et son succès inouï, parce qu'on ne pensait qu'à ce qu'on voyait et qu'on oubliait ce qu'on avait vu. Le dominateur tomba mais ce qui restait de plus substantiel dans son œuvre resta debout; son gouvernement mort, son administration continua de vivre, et, toutes les fois qu'on a voulu depuis abattre le pouvoir absolu, on s'est borné à placer la tête de la Liberté sur un corps servile."

- Alexis de Tocqueville, 1856, L'Ancien Régime et la Révolution, p.16-17; 183-184; 239; 319.


"Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique. Monarchie ou république, basées sur la démocratie, sont également absurdes et faibles. (...) 

Deux belles religions, immortelles sur les murs, éternelles obsessions du Peuple : une pine (le phallus antique) et «Vive Barbès !» ou «A bas Philippe !» ou «Vive la République !»."

- Charles Baudelaire, 1864, Mon cœur mis à nu.


9 août 2013

Marianne n'est pas française

Le nom "Marianne" vient de Marie-Anne, association de deux noms très courants à l'époque de la Révolution. Ces noms sont issus pour l'un de la Bible (Marie, la mère de Jésus) et pour l'autre d'écrits ultérieurs (Anne serait le nom de la mère de Marie), deux noms qu'on retrouve largement dans la tradition catholique romaine.

Pourtant, ce sera la IIIe république qui fera de l'allégorique Marianne une "déesse au bonnet rouge" (Clovis Hugues, Lettre de Marianne aux Républicains, 1871). Le culte de la personnalité, centré sur Napoléon, devait laisser place à une nouvelle figure emblématique et historique, comme en témoigne un fort renouveau d'intérêt pour Jeanne d'Arc à cette époque. 


On personnifia alors la République en une femme qui symbolisait à la fois la Révolution (le peuple, par ce nom composé) et la mère (nourricière, éducatrice, consolatrice), prenant la place de Marie dans l'inconscient du peuple (Marie étant alors elle-même emblème de l’Église, mater et magistra).


"Au XIXe siècle, Marianne a fait l'objet d'une véritable dévotion populaire. On trouvait dans le commerce quantité de petits bustes en bronze ou en plâtre qui prenaient place chez les républicains fervents, à l'instar du crucifix ou de la statuette religieuse dans les foyers catholiques.

- Les bustes de Marianne (sur le site de l'Assemblée Nationale).

Signe et sceau de liberté


La pratique d'imprimer une effigie de Marianne sur les timbres remonte à la fin de la Seconde Guerre Mondiale - elle continue ainsi d'affranchir quotidiennement. Il y aurait beaucoup à dire sur les similarités entre les conséquences de la Révolution et de la Seconde Guerre Mondiale, mais passons pour l'instant.

Notre nouveau Président élu vient de sélectionner, comme le veut la tradition, un nouveau visage pour Marianne, qui servira à illustrer la série des 15 timbres postaux ordinaires. Il a choisi le modèle proposé par deux artistes militants pour le "Mariage pour tous", Olivier Ciappa et David Kawena, qui n'ont pas caché s'être principalement inspirés d'Inna Shevchenko, la jeune femme ukrainienne fondatrice des Femen.

"Ça me semblait évident que la Marianne de la Révolution, outre le fait qu’elle était sein nu, aurait été une Femen. La liberté, l’égalité, la fraternité ce sont les valeurs des Femen".

 - Olivier Ciappa.

Racisme idéologique ?

Le choix d'un visage étranger pour représenter Marianne en a surpris plus d'un. Et pourtant, ça ne devrait pas nous surprendre, pour peu qu'on sache réellement qui est Marianne. Explication :

Cette Marianne au sein nu à laquelle fait référence Mr Ciappa n'est autre que celle du fameux tableau de Delacroix, la Liberté guidant le peuple. Le sein nu est un symbole d'émancipation, comme le bonnet phrygien, d'où le titre du tableau qui confond volontairement Marianne (la République) et la liberté, le tout par la révolution. En l'occurrence, bien qu'il se soit inspiré de la Révolution de 1789, le peintre représentait ici la Révolution de 1830, qui remplacera une monarchie par une autre (Louis-Philippe succédant au despotique Charles X). Le rapprochement est-il pertinent ? Plus encore qu'on ne le pense, car il ne s'agit pas seulement d'un "esprit révolutionnaire" qui anime le peuple et le mène à sa libération, mais une véritable répétition du combat pour la place de "Dieu des Français" (ou devrais-je dire déesse ?).

Évidemment, la "vraisemblance poétique devait l'emporter sur la véracité d'un simple reportage" (Jörg Traeger, L'épiphanie de la Liberté, p.11). En interprétant les révolutions à travers la lentille idéaliste de la liberté, on  arrive à la République puisqu'elle est l'incarnation de la liberté (d'où la confusion entre les deux). La révolution est le sacrifice sanglant qui se répète dans l'histoire (et qu'on répète symboliquement au 14 juillet), libérant les sociétés de l'emprise esclavagiste des corps et des esprits qu'exercent la monarchie et la religion, en leur fournissant un nouveau fondement d'unité.

Or cette prétention ne peut s'arrêter à un seul pays, elle est universelle (comme la Révolution, les Droits de l'Homme, la Sécurité Sociale, etc.), d'où la validité du choix de l'artiste. S'étonner qu'on choisisse les traits d'une étrangère pour inspirer Marianne, c'est se tromper sur l'identité de cette dernière. Marianne, c'est la France républicaine qui se prétend être l'incarnation du salut, pour le genre humain et par le genre humain.

Ce n'est pas un hasard si au lendemain de la Révolution l'Assemblée Nationale a baptisé d'Ancien Régime la période qui a précédé la République et donné naissance à un nouveau messie éternel, la Marianne française et républicaine : c'est le parallèle exact de la Bible, avec l'Ancien Testament et la naissance de Jésus. Mais si bibliquement les juifs étaient le peuple élu pour la Révélation, du point de vue républicain, les français sont le peuple élu pour la Révolution, et la République fait figure de Nouvelle Alliance.

5 août 2013

Sacrée France : La 2nde République (1848-1852)

"C'est un beau et vrai symbole pour la liberté qu'un arbre ! La liberté a ses racines dans le cœur du peuple, comme l'arbre dans le cœur de la terre ; comme l'arbre elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel ; comme l'arbre, elle grandit sans cesse et couvre les générations de son ombre. Le premier arbre de la liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu même sur le Golgotha. Le premier arbre de la liberté, c'est cette croix sur laquelle Jésus-Christ s'est offert en sacrifice pour la liberté, l'égalité et la fraternité du genre humain."

Victor Hugo, 1848, Discours du 2 mars, lors de la plantation d'un arbre de la liberté sur la place des Vosges.


"La Révolution Française a résumé la politique dans ces trois mots sacramentels : Liberté, Égalité, Fraternité. Ce n'est pas seulement sur nos monuments, sur nos monnaies, sur nos drapeaux, que cette devise de nos pères fut écrite; elle était gravée dans leur coeur, elle était pour eux l'expression même de la Divinité.

Sainte devise de nos père, non, tu n'es pas un de ces vains assemblages de lettres que l'on trace sur le sable et que le vent disperse. Triangle mystérieux qui présidas à notre émancipation, qui servis à sceller nos lois, et qui reluisais au soleil des combats sur le drapeau aux trois couleurs, tu fus inspiré par la Vérité même, comme le mystérieux triangle qui exprime le nom de Jéhovah, et dont tu es le reflet."



Certains épisodes de l'histoire sont des "lieux de mémoire" pour fonder le pouvoir en place, d'autres des lieux d'oubli. L'immémoriale presque-révolution de juin 1848 fit écrire à Marx :

"Les représentants officiels de la démocratie française étaient tellement prisonniers de l’idéologie républicaine qu’il leur fallut plusieurs semaines pour commencer à soupçonner le sens du combat de Juin. Ils furent comme hébétés par la fumée de la poudre dans laquelle s’évanouissait leur République imaginaire." (Les luttes de classes en France, voir source plus bas)

C'est la même faim qu'en 1789 qui pousse à l'insurrection, mais elle trouve une réponse différente du gouvernement : on tire sur la foule. Louis-Philippe, roi abdiquant, exilé en Angleterre, fera à ce sujet une remarque cynique : "Elle a bien de la chance la République: elle peut faire tirer sur le peuple." (voir Sebastian Haffner, 1918, une révolution trahie).

Victor Hugo, partisan de la République, dans la droite lignée de sa Légende des Siècles, interprètera l'histoire d'une manière bien singulière dans son célèbre roman Les Misérables  paru en 1862 : "Mais, au fond, que fut juin 1848? Une révolte du peuple contre lui-même" (Tome V, Livre 1, Chapitre 1). C'est pourtant depuis cette époque que le gouvernement se prémunit contre les contestations du peuple par un urbanisme qui favorise les troupes plutôt que les insurgés et qui maintient un niveau de vie élevé dans la capitale pour en chasser les indésirables "ouvriers de province", sujets à de folles idées... révolutionnaires (merci Haussmann et les théories hygiénistes des Lumières).

Pourtant Marx a beau veiller, cela ne l'empêche pas de s'emparer de cet idéal de la Révolution à la Française (c'est-à-dire religieuse et absolue), qu'il rattache plus à sa vision communiste qu'à la République :

La nouvelle révolution française sera obligée de quitter aussitôt le terrain national et de conquérir le terrain européen, le seul où pourra l'emporter la révolution sociale du XIXe siècle. Donc, ce n'est que par la défaite de Juin que furent créées les conditions permettant à la France de prendre l'initiative de la révolution européenne. Ce n'est que trempé dans le sang des insurgés de Juin que le drapeau tricolore est devenu le drapeau de la révolution européenne, le drapeau rouge. Et nous crions :

La révolution est morte ! Vive la révolution !"

2 août 2013

Racines chrétiennes ?

Peter Hitchens, journaliste et essayiste britannique, frère de feu le très célèbre athée militant Christopher Hitchens (lui-même se désignait comme "anti-théiste"), est pour sa part revenu à la foi de sa jeunesse. Tout aussi intellectuellement brillant que son frère, il répond à la question du lien entre culte et culture dans une interview du magazine chrétien Relevant (interview qu'il reprend et commente sur son blog). 

Extraits :

Q: Pensez-vous que l'idée des États-Unis ou du Royaume Uni comme nations chrétiennes soit désormais dépassée ?

R: J'en ai peur, oui. La seule chose chrétienne qu'on puisse encore y voir, ce sont les dernières lueurs du Christianisme. Un préjugé chrétien demeure dans la vie des gens, même s'ils ne sont pas particulièrement ni explicitement chrétiens eux-mêmes... Les gens sont encore régis par des suppositions qui sont chrétiennes, mais ils n'en reconnaissent plus les racines. Au final, si on sépare une plante de ses racines, elle meurt. Mais il y aura une période, selon la taille et l'âge de la plante, pendant laquelle elle aura l'air d'être encore vivante. Pourtant, c'est certain, ses racines sont mortes.
Je pense que, au fur et à mesure que les sociétés originellement chrétiennes le deviennent de moins en moins, il sera de plus en plus dur de croire. Tout simplement. Et cela demandera considérablement plus de courage que pour quelqu'un de ma génération.


Q: Certains diraient que c'est une bonne chose de ne plus être une nation Chrétienne, qu'on peut encore maintenir la vérité, qu'on n'est pas obligé de faire de notre morale une loi pour tout un tas de gens qui ne la partage pas forcément. Qu'en pensez-vous ?

R: Je pense que la société doit posséder un consensus fondamental sur sa morale et l'origine de cette morale. Sans loi, on peut avoir un arrangement plus ou moins chaotique, ou bien une trêve armée. Mais ce qu'on ne peut pas avoir, c'est une civilisation fonctionnelle, inventive et vivante, à moins qu'elle ne s'accorde à reconnaître un fondement commun sur ce qu'elle croit être bon.