15 avril 2011

Heureux les simples d'esprit

Cette phrase trop souvent mal comprise ouvre le "sermon sur la montagne", le discours le plus connu de Jésus. Elle constitue aussi l'entame d'une série de "heureux ceux qui...", intitulées les "béatitudes", tout aussi mal interprétées par la tradition populaire.

Alors, de quoi s'agit-il exactement ? D'abord, il faut faire une remarque : "Heureux" est ici une traduction du grec makarioi (μακάριοι) qui signifie "béni". Autrement dit, il s'agit de bénédictions, qui sont des sujets de réjouissance.

Reprenons le passage phrase par phrase.

Voyant la foule, Jésus monta sur la montagne; et, après qu'il se fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui. Puis, ayant ouvert la bouche, il leur dispensa son enseignement, en disant:

Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux!

Il ne s'agit pas d'être un "imbécile heureux", mais d'être "pauvre en esprit", autrement dit, de reconnaître sa pauvreté spirituelle. Jésus professait que Dieu était source de vie, et que les hommes, ayant rompu avec lui, étaient spirituellement morts. Ainsi, ceux qui on l'humilité de reconnaître leur limitation spirituelle pourront renouer avec Dieu et bénéficier de son esprit de vie.

Heureux les affligés, car ils seront consolés!

Jésus est-il en train de dire que c'est bien de souffrir ? Non, il est en train de dire que ceux qui souffrent ne seront pas seuls, qu'ils ne seront pas ignorés de Dieu, et que c'est en ça qu'ils peuvent se réjouir. La bénédiction réside en la réconciliation avec Dieu et sa présence à nos côtés pendant les passages difficiles.

Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre!

Débonnaires ? Pour comprendre le terme, on peut le mettre en parallèle avec le Psaume 37, qui promet le même héritage aux "misérables" et à "ceux qui placent leur espoir en Dieu". Être débonnaire, ici, c'est ne pas laisser le monde avoir d'emprise sur soi, c'est prendre Dieu comme fondement pour tous ses choix, et cela peut mener à un aspect extérieur de misère. Le monde adore et déteste les débonnaires, parce qu'ils sont incorruptibles, indomptables, intransigeants.

Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés!

De quelle justice s'agit-il ? Pas celle des hommes, qui consiste à punir les coupables, mais celle de Dieu, qui comporte depuis l'antiquité le concept de justice sociale. Remarquez ensuite que Jésus ne dit pas "Heureux ceux qui veulent la justice", mais "Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice". Il parle de ceux qui font de la justice de Dieu leur nourriture spirituelle, qui en ont besoin chaque jour pour vivre.

Heureux ceux qui pardonnent, car ils seront pardonnés!

Cela fait écho notamment au Notre Père, que Jésus enseigna à ses disciples : "... et pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé...", mais aussi à la parabole des dettes : un roi fait grâce d'une dette extraordinairement élevée à l'un de ses sujets, puis apprend que ce sujet est allé harceler un de ses propres débiteurs pour une toute petite dette. Alors le roi convoque son sujet de nouveau et le fait jeter en prison jusqu'à ce qu'il ait remboursé sa dette.

Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu!

Qu'est-ce que c'est qu'avoir le cœur pur ? Dans la littérature biblique, le coeur est le siège des émotions et des désirs. Après avoir fait tuer un homme pour pouvoir épouser sa femme, le Roi David réalise son pêché et demande pardon à Dieu, puis lui demande : "O Dieu! Crée en moi un cœur pur, renouvelle en moi un esprit droit". Avoir le cœur pur, c'est faire de la volonté de Dieu ses propres désirs, le laisser régner su son cœur plutôt que n'importe quelle idole.

Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu!

Qu'est-ce que la paix ? Ce n'est pas l'absence de conflit. Jésus est venu apporter la paix entre les hommes et Dieu, pas entre les hommes et les hommes,et il l'a fait en livrant bataille contre Satan toute sa vie. S'il avait été un gentil pacifiste, lui-même n'aurait pas fini sur la croix. Mahatma Ghandi lui-même disait que pour combattre l'injustice acceptée de tous, il fallait créer le conflit. On peut préférer le mot "confrontation", mais le résultat reste le même : la paix passe par la justice, or le monde est injuste, il va donc falloir lutter avec amour.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux! Heureux serez-vous, lorsqu'on vous outragera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux; car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous.

Jésus ne dit pas quelle sera la récompense finale. Peut-être que nous serions incapables de la concevoir, peut-être qu'il ne voulait pas que nous soyons tentés d'agir par intérêt, ou peut-être qu'il voulait nous faire la surprise, mais en tous cas, il ne nous dit pas grand-chose sur ce qui nous attend dans l'au-delà. Il nous dit par contre ce qui nous attend dans cette vie : nous serons persécutés, insultés, diffamés, outragés. C'est pas un super deal... mais c'est le lot de ceux qui luttent pour la justice dans un monde injuste, et pour la paix dans un monde en guerre. Jésuis lui-même a souffert, et nous souffrirons.

Vous êtes le sel de la terre. (...) Vous êtes la lumière du monde. (...) Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux.

Enfin, cette suite affirme clairement l'aspect social de ce passage. Le sel a de la valeur en tant que tel, mais il trouve toute son utilité quand il est mélangé à d'autres choses. De la même manière, nous sommes appelés à être présents dans le monde et à agir (rechercher la volonté de Dieu, pardonner, consoler, procurer la justice, la paix, etc.) , non pas à nous retirer en ermite dans une grotte pour manger de l'herbe et méditer sur un caillou.

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