30 août 2013

La "voie de la moindre résistance" ?

Le célèbre auteur britannique Samuel Butler écrivit dans ses notes une phrase qui fut souvent reprise : "La croyance, comme tout autre entité mobile, suit la voie de la moindre résistance". On la retrouve notamment dans la bouche du protagoniste de Match Point (de Woody Allen) : "Je crois que la foi est la voie de la moindre résistance".

J'aborderai cette question un autre jour, aujourd'hui je voudrais expliquer pourquoi cette phrase résume si bien la vision Française de la foi, et notamment de la foi chrétienne, et pourquoi la notion de résistance est si importante dans l'imaginaire français. J'ajouterai - si tu es prêt à l'entendre sans t'en offenser - que la résistance n'est et n'a toujours été, par définition, que le fait d'une minorité... tout simplement parce que la majorité ne résiste pas, elle impose.

La Résistance

La Révolution, c'est la France, c'est la République, c'est la Liberté, c'est la Déclaration des Droits de l'Homme, c'est l'athéisme républicain-démocrate humaniste et humanitaire, c'est l'ennemi de toute religion, de toute dictature, de toute restriction. C'est donc toute Résistance. On comprend mieux pourquoi la foi est vue comme une reddition morale et intellectuelle, voire une collaboration.

Après l'assaut spirituel de la IIIe République, les deux grandes guerres mettent en scène un nouvel ennemi ancestral auquel résister : l'Occupant illégitime, qui prend souvent la forme de l'Empire - depuis les Romains qui ont occupé la Gaule (car "Nos ancêtres les Gaulois" sont les seuls qu'on reconnaisse, exit les Celtes et autres) jusqu'au Reich Nazi; plus tard on s'opposera à l'insupportable impérialisme des États-Unis et à leur occupation économique de la France (et militaire de l'Iraq). 

Évidemment, lorsque Napoléon occupait la moitié de l'Europe, ou que l'empire colonial Français lui assurait la première place mondiale, c'était différent. Ben oui, parce que nous, on est les gentils, et on est le peuple élu, c'est normal qu'on domine le monde. Vous reprendrez bien un peu d'universalisme ?

La Résistance, c'est une Révolution en puissance, et c'est même une Révélation : Henri Frenay, le "1er Résistant de France" pendant l'occupation, écrivait que "les hommes que la Résistance a révélés à eux-mêmes" forment "une aristocratie nouvelle du courage et de la volonté" (journal Combat du 25 décembre 1942). L'esprit de la Révolution/Résistance/République n'est autre que l'esprit de l'humanité, mais qui se dévoile d'abord et avant tout chez le peuple Français : le französich Volkgeist a vocation de Weltgeist.

La vérité est ailleurs

Et pourtant, la sacralisation de la Résistance française pendant la seconde guerre n'est qu'une mystification de plus : entre 1940 et 1945 à peine 2% des Français rejoignent la Résistance (auxquels ont peu ajouter 10% de sympathisants), face à 2% également de collaborationnistes (et auxquels ont peu ajouter une estimation de 10% de collaborateurs passifs et dénonciateurs anonymes). Le reste demeure... en attente, même lors de la Libération, ils ont apparemment d'autres chats à fouetter; la palme de la résistance reviendrait plutôt aux Russes. Quelques citations à l'appui :

"Je vais être très dur. Mon beau régiment de cavalerie, quand il a débarqué à Saint Tropez et qu'ensuite il a remonté toute la France pour s'arrêter en panne d'essence en Haute Saône, il pouvait recruter à chaque étape, il avait le droit. Nous avons recruté trois Français. Ils ne voulaient pas venir. On leur disait : - Mais ce n'est pas terminé. Ils répondaient : - Ah, mais nous avons des choses à régler localement. Je n'ai pas eu de mon pays une idée très haute, et puis je n'ai plus fait attention. Je me suis dit : nous irons en Allemagne, nous irons en Autriche, et tant pis pour eux.

- propos de Michel Jobert, rapportés par Ahmed El Maânouni dans Les Goumiers Marocains, 1992.


"Sur les 53 000 Forces Françaises Libres (chiffre maximum à la dissolution des FFL à l'été 1943), on compte environ 32 000 « coloniaux », qui ne sont pas citoyens français en 1940, 16 000 Français et environ 5 000 étrangers (...). Sans goût excessif du paradoxe, on peut affirmer que la majorité des  « Français » libres qui ont sauvé l'honneur du pays en 1940 ne sont pas des citoyens français."

- François Bloche, La France au combat: de l'appel du 18 juin à la victoire, 2004.


"Au total, à l'automne de 1944, la France finira par disposer d'une armée effective de 250 000 hommes composée pour moitié d'éléments indigènes, Maghrébins, Africains et pour moitié d'Européens d'Afrique du Nord."

- Philippe Masson, L'homme en guerre, 1901-2001: de la Marne à Sarajev, 1997.


"Il y a soixante ans, 57 % des Français considéraient l’URSS comme le principal vainqueur de la guerre. En 2004, ils n’étaient plus que 20 %. Amplifié par les médias, cet oubli progressif du rôle de Moscou tient aussi aux polémiques sur la politique de Staline entre 1939 et juin 1941, que des travaux historiques récents éclairent d’un jour nouveau. Mais, quoi qu’on pense du pacte germano-soviétique, comment nier que, trois ans durant, les Russes ont porté une grande partie de la résistance, puis de la contre-offensive face à la Wehrmacht ? Au prix de 20 millions de morts. [...] Si, en 1917-1918, le Reich fut défait à l’Ouest, et surtout par l’armée française, de 1943 à 1945, il le fut à l’Est et par l’Armée rouge."

- Annie Lacroix-Riz, L'Union soviétique par pertes et profits, Le Monde Diplomatique, 2005.

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