9 septembre 2013

Sacrée France : La 5ème République (depuis 1958)

Les citations du lundi dans cette série sur la République se passeront souvent de commentaires, néanmoins tu en retrouveras parfois quelques extraits dans mes articles du vendredi, ainsi qu'un peu plus de contexte historique. Sur ce, bonne lecture !
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"J'ai pu comparer les deux sacristies, la laïque et la catholique, et j'ai toujours eu le sentiment de deux liturgies".

- Gaston Bonheur1, probablement entre 1958 et 1974, cité dans "La Théocratie Républicaine : les avatars du sacré", p.56.



"Marianne-Mère, c'est le terme que suggérait Gaston Bonheur. (...) Le plus ancien [archétype] et le plus profond (...) est celui de la déesse-mère, terre et eau, fécondité, féminité, culte des fées près des sources, vaguement christianisées (...). 

Marianne cependant, fontaines mises à part, n'a pas séduit seulement nos régions du Midi. La République l'a faite un peu reine de France. Mais une reine ou mère contestée. Et force est bien de constater, pour finir, et pour confirmer ces derniers propos, qu'en termes de psychologie et de symbolique elle a été précisément contestée par des figures masculines de monarque, de père, de chef. Quand l'effigie de la République disparaît de l'emblématique officielle aux lendemains des coups d'État, c'est au profit des visages de Louis-Napoléon Bonaparte, en 1851 ou de Philippe Pétain en 1940. Comme elle eût disparu à plus forte raison au profit de Henri V en 1873. 

Au premier degré de la réflexion on pouvait en conclure que toute monarchie, ou dictature, est un pouvoir personnel symbolisé par le portrait de l'individu gouvernant, tandis que la République, pouvoir collectif et collégial, ne peut avoir que la figure anonyme de l'allégorie. C'est, en gros, à ce premier degré d'analyse que nous nous en étions tenu dans Marianne au Combat : Nous opposions Napoléon-individu à la République-abstraction. Mais nous voilà penchant à y ajouter, au second degré, l'opposition de Napoléon-homme à la République-femme. 

Est-ce légitime ? Oui, à condition que l'on accepte (réserve importante) de connoter l'être masculin d'autorité, de force et de combat, et l'être féminin de conciliation, de douceur et de paix. A condition - répétons-le - que l'on valide ces dernière conventions, l'effigie de Marianne convient mieux en effet à l'idéal théorique de la démocratie républicaine, tandis que les droites monarchique, militaire ou fasciste lui préfèrent évidemment une mâle figure de chef. 

S'il en est bien ainsi, on conclura que, malgré certaines apparences, le véritable mythe antagoniste de la Marianne de France n'a peut-être pas été le mythe chrétien mais le mythe napoléonien, non pas la Sainte Vierge mais le soldat."

- Maurice Agulhon, 1989, Marianne au pouvoir (pages 348 et 349).


"Tous les enfants de France, quelle que soit leur histoire, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur croyance, sont les filles et les fils de la République. Ils doivent être reconnus comme tels, dans le droit mais surtout dans les faits. C'est en veillant au respect de cette exigence, c'est par la refondation de notre politique d'intégration, c'est par notre capacité à faire vivre l'égalité des chances que nous redonnerons toute sa vitalité à notre cohésion nationale. (...) 

Après avoir déchiré la France lors de l'adoption de la grande loi républicaine de séparation des églises et de l’État en 1905, une laïcité apaisée a permis de rassembler tous les Français. A l'épreuve de bientôt un siècle d'existence, elle a montré sa sagesse et recueille l'adhésion de toutes les confessions et de tous les courants de pensée. (...)

L'école est au premier chef le lieu d'acquisition et de transmission des valeurs que nous avons en partage. L'instrument par excellence d'enracinement de l'idée républicaine. (...)  L'école est un sanctuaire républicain que nous devons défendre."

- Jacques Chirac, 2003, discours d'installation de la Commission Stasi sur la laïcité.


"Ici depuis Philippe-Auguste on a été occupé, pillé, ravagé, mais l'on n'a jamais pris les armes contre la France, on n'a jamais songé que l'on pouvait être plus libre en étant moins Français. Ici l'on sait depuis toujours qu'être Français c'est être libre, que la France est pour la liberté une garantie et non une menace. (...)

Qu'est-ce que la France ? La France est un miracle. Ce miracle est politique. Il est intellectuel. Il est moral. Il est culturel. C'est le miracle de la France de conjuguer une identité si forte avec une aspiration si grande à l'universalisme. (...)

C'est le miracle de la France de combiner une aussi haute idée de l'État avec une passion aussi grande de la liberté. (...)

C'est le pays des droits de l'homme, c'est le pays qui récuse le plus le communautarisme qui renvoie chacun à ses origines ethniques et religieuses, c'est le pays de la République, qui s'est toujours battu depuis deux cents ans pour la liberté, l'égalité et la fraternité de tous les hommes. (...)

Qu'est-ce que la France ? La France, c'est la République. (...) C'est la foi dans la raison, dans l'Homme et dans le progrès. (...) Être Français c'est aimer la France, c'est vouloir la République, c'est respecter l'État."

- Nicolas Sarkozy, 2007, Discours à Caen.


"La révolution française est l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est un commencement absolu, c’est la présence et l’incarnation d’un sens, d’une régénération et d’une expiation du peuple français.

1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement par un brusque saut de l’histoire d’un homme nouveau. La révolution est un événement méta-historique, c’est-à-dire un événement religieux. La révolution implique l’oubli total de ce qui précède la révolution.

Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. Et c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi. (...)

Ce qui manque au socialisme pour s’accomplir comme la pensée des temps nouveaux, c’est une religion nouvelle : Donc un nouveau dogme, un nouveau régime, un nouveau culte doivent surgir, afin qu’une nouvelle société prenne la place de l’ancienne. (...)

La laïcité elle-même peut alors apparaître comme cette religion de la République recherchée depuis la Révolution. (...)

C’est au socialisme qu’il va revenir d’incarner la révolution religieuse dont l’humanité a besoin, en étant à la fois une révolution morale et une révolution matérielle, et en mettant la seconde au service de la première."

- Vincent Peillon2, 2008, "La Révolution Française n'est pas terminée", p.17,149, 162 et 195.


"Toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Eglise. Non pas seulement l’Eglise catholique, mais toute Eglise et toute orthodoxie. Déisme humain, humanisation de Jésus, religion sans dogme ni autorité ni Eglise, toute l’opération de la laïcité consiste à ne pas abandonner l’idéal, l’infini, la justice et l’amour, le divin, mais à les reconduire dans le fini sous l’espèce d’une exigence et d’une tâche à la fois intellectuelles, morales et politiques."

- Vincent Peillon, 2010, "Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson", p.277.


"La République a besoin de rites. La démocratie, c’est une véritable religion, elle a besoin de rites pour être reconnue et acceptée."

- Claude Bartolone3, 2013, interrogé par RTL.
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1 Journaliste et écrivain français.
2 Actuel ministre de l'Education Nationale, c'est un des principaux dirigeants du Parti Socialiste.
3 Président de l'Assemblée Nationale.

6 septembre 2013

Idoles Françaises

Le Tour de France

"L'imaginaire nationaliste se voit ritualisé et popularisé en 1903, par la création du Tour de France, épreuve physique qui est bien à regarder comme "un discours amoureux qui n'en finit pas de décrire et de désirer la nation incarnée" et, devons-nous ajouter, mutilée."

- Rober Belot, Henri Frenay : De la Résistance à l'Europe, 2003.

Si la fameuse épreuve cycliste date du début du 20e siècle, elle ne fait que reprendre un mythe de propagande initié en 1877 par le manuel scolaire "Le Tour de France par deux enfants", qui véhicule des préjugés favorables envers la centralisation (notamment parisienne), la légitimité de la langue française (aux dépens des "patois" régionaux et des langues étrangères), la supériorité de la "race blanche" et la position enviable de la France dans le monde, entre autres.

Cette idée du Tour de France fera d'autres ricochets dans la culture française, notamment lors de sa rencontre dans la seconde moitié du 20e siècle d'une BD qui exploite un autre élément important de l'imaginaire français...

Nos ancêtres les Gaulois 

Le Petit Lavisse, le manuel phare de la IIIe République, commençait ainsi : "Autrefois, notre pays s’appelait la Gaule et ses habitants, les Gaulois". Les Français se veulent descendants directs des Gaulois - on en oublierait presque les Francs à l'époque des Lumières - en tous cas exit les Celtes mystiques et les occupants Romains, exit les barbares Visigoths et les immigrants Bretons, exit les minorités juives et les avancées arabo-musulmanes... et vive Vercingétorix ! - figure emblématique s'il en est de la résistance à l'Empire Romain.

Ce mythe ethnique sera popularisé par la BD Astérix le Gaulois, dont l'un des albums, "Le Tour de Gaule", établit des parallèles avec "Le Tour de France par deux enfants". Une culture française idéalisée y sera représentée : les gaulois ont la peau blanche, les cheveux blonds et roux, et des moustaches fournies; ils chassent le sanglier et résistent à l'envahisseur / occupant... et surtout, chaque aventure se conclue par un banquet.

Ajoutons à cela l'emblème national : le Coq, mais pas n'importe lequel, le Coq Gaulois. Certes, Galus veut dire à la fois coq et Gaulois en Latin, une coïncidence qui renforce ces fables arrangées, mais à l'époque, il n'y avait pas une Gaule mais deux : le sud de la France actuelle (Gaule transalpine) et l'Italie (Gaule cisalpine). La Gaule n'a pas de réalité "française" avant la chute de l'Empire Romain d'occident, et aucune tribu gauloise n'a jamais pris le coq pour emblème.

Ce n'est qu'au Moyen-Âge que le coq acquiert une symbolique particulière : il représente la foi et l'espoir. A la Renaissance le symbole est suffisamment répandu pour être populaire et la Révolution le sacre emblème national. S'en suivra une alternance entre le coq et l'aigle impérial (sous les Napoléon) mais au final la reprise de l'aigle par l'empire de Prusse finira de convaincre les français de faire du coq leur emblème exclusif.

La République démocratique

On redécouvre selon que ça nous arrange la généalogie des Francs : ils descendent non pas des "Gaulois" mais des Troyens - et par amalgame on en revient à l'héritage grec de la démocratie...

Aux États-Unis, les deux principaux partis politiques opposés sont le parti Républicain et le parti Démocrate. Une telle opposition n'a aucun sens dans l'esprit français, car on ignore ici (on nous a appris à ignorer) que la République, et surtout telle qu'on la connaît, n'est pas la seule ni forcément la meilleure forme de Démocratie. D'ailleurs nos statues de la République reprennent largement la forme des statues grecques antiques de la démocratie.

Nous sommes dans un système mixte : semi-direct et semi-présidentiel. On ignore les systèmes directs, représentatifs, par tirage au sort ; on ignore les différentes versions de notre système mixte (parlementaire, présidentiel, ou participatif par exemple) ; on ignore que la monarchie n'est pas l'opposé de la démocratie (comme le prouvent la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, le Japon, l'Espagne, le Royaume-Uni et 15 autres pays du Commonwealth, entre autres).

Tout cela parce que la République est le premier système politique de l'Histoire révisée de France qui commence en 1789 (c'est en tous cas ce qu'on choisit de croire, puisqu'on préfère oublier la monarchie constitutionnelle), et ce sera le dernier (qui songerait spontanément à ne serait-ce que changer de système de république aujourd'hui ?). La République est l'alpha et l'oméga de la nouvelle Histoire de France, elle est son origine et son salut, sa conception virginale et sa résurrection (car c'est elle qui l'a fait naître des cendres de la Monarchie Absolue et qui l'a relevé de la Seconde Guerre Mondiale comme de la mort).

Ses attributs sont directement tirés de la Bible. Par exemple, le socle de sa statue sur la place de la République à Paris est orné (outre d'un véritable "chemin de croix" de la République) de trois statues illustrant sa devise : Liberté (portant le bonnet phrygien, parfois au bout d'une pique pour rappeler que la liberté s'acquiert par les armes - c'est-à-dire la Révolution), Egalité (qui tient une Bible et une balance qui symbolise le Jugemement dernier) et Fraternité (symbolisé par un lion et un agneau attelés côte-à-côte et menés par des enfants, ce qui n'est pas sans rappeler Esaïe 11,6). Elle est le messie moderne qui éclaire le genre humain avec ses Tables de la Loi (la DDHC), le libère par sa justice égalitaire et le réconcilie par son dogme fraternaliste. 

2 septembre 2013

Sacrée France : La 4ème République (1946-1958)

Les citations du lundi dans cette série sur la République se passeront souvent de commentaires, néanmoins tu en retrouveras parfois quelques extraits dans mes articles du vendredi, ainsi qu'un peu plus de contexte historique. Sur ce, bonne lecture !
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"Le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et les libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des Droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République."

- Préambule de la Constitution, 1946, complétant la DDHC de 1789.


"La guerre qui vient de finir a bouleversé de fond en comble les conditions de l'existence et de la puissance de la France. Combien même, en 1940, avaient pu croire à notre effondrement ! (...)

C'est alors que la France libre prit en main tous les pouvoirs, autrement dit tous les devoirs. C'est alors qu'elle assuma la responsabilité de conduire la France jusqu'au salut, la charge de maintenir intacts son intégrité, son indépendance et ses droits, la mission de reporter au combat ses armées de terre, de mer et de l'air et de les diriger jusqu'à la complète victoire, l'engagement de lui rendre sa souveraineté sur elle-même, c'est-à-dire la République. (...)

Il est donc arrivé que nous avons vu se remettre debout notre pays gisant sous l'oppression et que les résultats ont correspondu aux buts fixés et aux promesses faites, c'est-à-dire : la victoire remportée, la liberté reconquise, la souveraineté du peuple intégralement rétablie. (...)

Si nous n'étions pas le peuple français, nous pourrions reculer devant la tâche et nous asseoir au bord de la route en nous livrant au Destin. Mais nous sommes le peuple français ! (...) La République, que nous avons fait sortir du tombeau où l'avait d'abord ensevelie le désespoir national, la République que nous avons rêvée tandis que nous luttions pour elle, la République dont il faut qu'elle se confonde maintenant avec notre rénovation, sera l'efficience, la concorde et la liberté."

- Charles De Gaulle, 1947, Discours de Strasbourg.


"Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison. Ce qu'il y a en moi d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle.

J'ai d'instinct l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie.

Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n'est réellement elle-même qu'au premier rang : que seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays tel qu'il est, parmi les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur."

- Charles De Gaulle, 1954, Mémoires de Guerre, tome 1.

30 août 2013

La "voie de la moindre résistance" ?

Le célèbre auteur britannique Samuel Butler écrivit dans ses notes une phrase qui fut souvent reprise : "La croyance, comme tout autre entité mobile, suit la voie de la moindre résistance". On la retrouve notamment dans la bouche du protagoniste de Match Point (de Woody Allen) : "Je crois que la foi est la voie de la moindre résistance".

J'aborderai cette question un autre jour, aujourd'hui je voudrais expliquer pourquoi cette phrase résume si bien la vision Française de la foi, et notamment de la foi chrétienne, et pourquoi la notion de résistance est si importante dans l'imaginaire français. J'ajouterai - si tu es prêt à l'entendre sans t'en offenser - que la résistance n'est et n'a toujours été, par définition, que le fait d'une minorité... tout simplement parce que la majorité ne résiste pas, elle impose.

La Résistance

La Révolution, c'est la France, c'est la République, c'est la Liberté, c'est la Déclaration des Droits de l'Homme, c'est l'athéisme républicain-démocrate humaniste et humanitaire, c'est l'ennemi de toute religion, de toute dictature, de toute restriction. C'est donc toute Résistance. On comprend mieux pourquoi la foi est vue comme une reddition morale et intellectuelle, voire une collaboration.

Après l'assaut spirituel de la IIIe République, les deux grandes guerres mettent en scène un nouvel ennemi ancestral auquel résister : l'Occupant illégitime, qui prend souvent la forme de l'Empire - depuis les Romains qui ont occupé la Gaule (car "Nos ancêtres les Gaulois" sont les seuls qu'on reconnaisse, exit les Celtes et autres) jusqu'au Reich Nazi; plus tard on s'opposera à l'insupportable impérialisme des États-Unis et à leur occupation économique de la France (et militaire de l'Iraq). 

Évidemment, lorsque Napoléon occupait la moitié de l'Europe, ou que l'empire colonial Français lui assurait la première place mondiale, c'était différent. Ben oui, parce que nous, on est les gentils, et on est le peuple élu, c'est normal qu'on domine le monde. Vous reprendrez bien un peu d'universalisme ?

La Résistance, c'est une Révolution en puissance, et c'est même une Révélation : Henri Frenay, le "1er Résistant de France" pendant l'occupation, écrivait que "les hommes que la Résistance a révélés à eux-mêmes" forment "une aristocratie nouvelle du courage et de la volonté" (journal Combat du 25 décembre 1942). L'esprit de la Révolution/Résistance/République n'est autre que l'esprit de l'humanité, mais qui se dévoile d'abord et avant tout chez le peuple Français : le französich Volkgeist a vocation de Weltgeist.

La vérité est ailleurs

Et pourtant, la sacralisation de la Résistance française pendant la seconde guerre n'est qu'une mystification de plus : entre 1940 et 1945 à peine 2% des Français rejoignent la Résistance (auxquels ont peu ajouter 10% de sympathisants), face à 2% également de collaborationnistes (et auxquels ont peu ajouter une estimation de 10% de collaborateurs passifs et dénonciateurs anonymes). Le reste demeure... en attente, même lors de la Libération, ils ont apparemment d'autres chats à fouetter; la palme de la résistance reviendrait plutôt aux Russes. Quelques citations à l'appui :

"Je vais être très dur. Mon beau régiment de cavalerie, quand il a débarqué à Saint Tropez et qu'ensuite il a remonté toute la France pour s'arrêter en panne d'essence en Haute Saône, il pouvait recruter à chaque étape, il avait le droit. Nous avons recruté trois Français. Ils ne voulaient pas venir. On leur disait : - Mais ce n'est pas terminé. Ils répondaient : - Ah, mais nous avons des choses à régler localement. Je n'ai pas eu de mon pays une idée très haute, et puis je n'ai plus fait attention. Je me suis dit : nous irons en Allemagne, nous irons en Autriche, et tant pis pour eux.

- propos de Michel Jobert, rapportés par Ahmed El Maânouni dans Les Goumiers Marocains, 1992.


"Sur les 53 000 Forces Françaises Libres (chiffre maximum à la dissolution des FFL à l'été 1943), on compte environ 32 000 « coloniaux », qui ne sont pas citoyens français en 1940, 16 000 Français et environ 5 000 étrangers (...). Sans goût excessif du paradoxe, on peut affirmer que la majorité des  « Français » libres qui ont sauvé l'honneur du pays en 1940 ne sont pas des citoyens français."

- François Bloche, La France au combat: de l'appel du 18 juin à la victoire, 2004.


"Au total, à l'automne de 1944, la France finira par disposer d'une armée effective de 250 000 hommes composée pour moitié d'éléments indigènes, Maghrébins, Africains et pour moitié d'Européens d'Afrique du Nord."

- Philippe Masson, L'homme en guerre, 1901-2001: de la Marne à Sarajev, 1997.


"Il y a soixante ans, 57 % des Français considéraient l’URSS comme le principal vainqueur de la guerre. En 2004, ils n’étaient plus que 20 %. Amplifié par les médias, cet oubli progressif du rôle de Moscou tient aussi aux polémiques sur la politique de Staline entre 1939 et juin 1941, que des travaux historiques récents éclairent d’un jour nouveau. Mais, quoi qu’on pense du pacte germano-soviétique, comment nier que, trois ans durant, les Russes ont porté une grande partie de la résistance, puis de la contre-offensive face à la Wehrmacht ? Au prix de 20 millions de morts. [...] Si, en 1917-1918, le Reich fut défait à l’Ouest, et surtout par l’armée française, de 1943 à 1945, il le fut à l’Est et par l’Armée rouge."

- Annie Lacroix-Riz, L'Union soviétique par pertes et profits, Le Monde Diplomatique, 2005.

26 août 2013

Sacrée France : Vichy, CFLN et GPRF (1940-1946)

La révolution devient la référence de tout progrès, de tout avenir : être français, c'est faire la révolution, c'est re-créer et régénérer perpétuellement ; et en des temps de troubles où la France se cherche, être vraiment français c'est faire la vraie révolution. Autrement dit, comme toujours, il est temps de redéfinir les termes pour les faire correspondre aux volontés politiques du moment. C'est alors la IIIe République qui se voit affublée de l'appellation "ancien régime" (discours du 11 octobre 1940 et du 12 août 1941).

"L'ordre nouveau est une nécessité française. Nous devrons, tragiquement, réaliser dans la défaite la révolution que, dans la victoire, dans la paix, dans l'entente volontaire de peuples égaux, nous n'avons même pas su concevoir."

"A tous ceux qui attendent aujourd'hui le salut de la France, je tiens à dire que ce salut est d'abord entre nos mains. A tous ceux que de nobles scrupules tiendraient éloignés de notre pensée, je tiens à dire que le premier devoir de tout Français est d'avoir confiance. (...) Celui qui a pris en mains les destinées de la France a le devoir de créer l'atmosphère la plus favorable à la sauvegarde des intérêts du pays. C'est dans l'honneur et pour maintenir l'unité française, une unité de dix siècles, (...) que j'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration. (...)  Gardez votre confiance en la France éternelle !"

"Si la France ne comprenait pas qu'elle est condamnée, par la force des choses, à changer de régime, elle verrait s'ouvrir devant elle l'abîme où l'Espagne de 1936 a failli disparaître et dont elle ne s'est sauvée que par la foi, la jeunesse et le sacrifice. (...) Aujourd'hui, c'est de vous-mêmes que je veux vous sauver. A mon âge, lorsqu'on fait à son pays le don de sa personne, il n'est plus de sacrifice auquel l'on veuille se dérober ; il n'est plus d'autre règle que celle du salut public. Rappelez-vous ceci : un pays battu, s'il se divise, est un pays qui meurt ; un pays battu, s'il sait s'unir, est un pays qui renaît. Vive la France !"

- Maréchal Pétain, 1940-41, discours du 11 et du 30 octobre 1941 et du 12 août 1941.

Il ne faut pas beaucoup pousser les français pour qu'ils reviennent au culte de la personnalité, avec quelques nouveautés, comme l'adoption du salut "à la romaine" (bras tendu, comme le salut de l'Allemagne Nazie et de l'Italie fasciste), rappel qu'une République précède un glorieux Empire.
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De son côté, le Comité Français de Libération Nationale (1940-44) qui se muera en Gouvernement Provisoire de la République Française (44-47), sera marqué par le Général De Gaulle bien sûr mais aussi le résistant puis ministre Henri Frenay, son compagnon de combat le général François Astier de la Vigerie et finalement le Président provisoire Vincent Auriol. On rêve d'abord de réunifier la France, mais plus encore, cette réunification ne peut être envisagée que comme le précurseur de toute réunification : l'Europe et la planète entière suivront nécessairement l'exemple prophétique et instigateur de la France-messie.

"Les États-Unis d’Europe, étape vers l’unité mondiale seront bientôt une réalité vivante pour laquelle nous combattons."

"Je hais par-dessus tout le sectarisme gaulliste. Par-dessus tout ? Oui parfaitement, car pour moi le gaullisme (…) c’est la France (…) et la France, si elle était sectaire, ne serait plus la France."

- Henri Frenay, 1942, dans le journal Combat ; et 1944, dans La Nuit finira.

Frenay, pour sa part, était tout à fait conscient de la force d'un tel mythe, qu'il décelait dans le Nazisme : "Un homme ou un peuple est très fort quand il entre en scène armé d'un mythe. Or le national-socialisme  a fait découvrir au peuple allemand un ensemble de mythes : le mythe de la race, le mythe du soldat politique, le mythe du socialisme allemand qui évaillent tous les échos profonds de l'âme populaire." (propos rapporté par J.-P. Woog dans la Chronique Littéraire de la Gazette du Palais, 23-25 mai 2004).

D'autres reprennent le mythe en termes bibliques au compte du parti qu'ils identifient à la Résistance, c'est-à-dire à la République :

"Fortifié par ses sacrifices, confirmé dans sa doctrine, rénové dans sa composition, le Parti socialiste surgit de la Résistance avec une âme nouvelle, un esprit rajeuni."

- Vincent Auriol, 1944, Congrès national extraordinaire des 9-12 novembre 1944, Archives du PS- SFIO, OURS, p.814.

23 août 2013

La République spirituelle

En 2010, suite à la publication de son livre "Une religion pour la République", l'historien et philosophe socialiste Vincent Peillon, actuel ministre de l’Éducation, accorde une interview à Camille tassel, du magazine Le Monde des religions. Sujet : l'origine, la forme et le fond de la laïcité, et notamment le rôle de la IIIe République qui voulait convertir chaque élève en « Christ républicain ». Extraits choisis :

La IIIe République est-elle spirituelle ?


Quelle est cette religion de la laïcité ?



Quelle est la foi laïque du "Christ Républicain" ?

  

19 août 2013

Sacrée France : La 3ème République (1870-1940)

La IIIe République fut le "poing sur la table" qui fixa définitivement la République en France. Après les révolutions de 1830 et de 1848, après deux Empires napoléoniens qui ont longtemps "interrompu" les desseins républicains, on décide qu'il est temps, presque cent ans après la première tentative d'établir la République en France, de le faire pour de bon. Or si on était en 1790 encore relativement indulgent envers l'Eglise, et attaché à la Monarchie, ce n'est plus le cas du tout en 1870 : ce sont maintenant des ennemis jurés. Louis XIV et Napoléon ont été de grands conquérants, mais leurs successeurs ont définitivement dégouté les Français des abus du pouvoir absolu. Il est temps pour Marianne de se faire un nom aussi glorieux, et de devenir la dirigeante éternelle des Français. Et ainsi, le mythe prend de l'ampleur...
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"Je n'ai pas oublié par quels applaudissements fut saluée mon apparition en 1848 ; je n'ai pas oublié non plus quelle fusillade retentit d'un bout de la France à l'autre lorsque Bonaparte cracha sur le serment qu'il m'avait prêté à la face de l'Europe. Le clergé, qui avait béni les fameux arbres de liberté, célébra sur toutes les gammes du chant grégorien les louanges du gouvernement décembriste ; on cria du haut des chaires soi-disant apostoliques que j'avais travaillé au renversement de la famille, de l'ordre et de quantité d'autres choses respectables ; certains bateleurs de bas étage allèrent jusqu'à dire que j'avais essayé de faire main basse sur les caisses privées ou publique et que le fils d'Hortense avait dû rompre ses engagements avec moi à cause seulement de mes penchants au vol, à la boisson et à la coquetterie. Tous les Pères Tissié de France et de Navarre racontèrent sur mon compte à l'oreille des mères de famille une foule d'histoires à faire peur aux enfants ; Barbe Bleue fut dépassé de quinze kilomètres ; les vieilles femmes ne parlèrent de moi qu'avec la terreur d'une nonne occupée à commettre un péché mortel ; afin de ne pas en perdre l'habitude, on massacra, ça et là, quelques républicains et le tour fut joué à cette brave Marianne qui ne cherche querelle à personne et qui n'oserait pas même bombarder une ville française. (...)

La déesse au bonnet rouge n'a pas encore épuisé les traits qu'elle dirige contre les conspirateurs monarchiques (...)"

- Clovis Hugues, 1871, Lettre de Marianne aux Républicains.

"Le réel étant le miroir de l’idéal, les sociétés s’ordonnent selon la manière dont elles conçoivent l’ordre de l’univers, et les transformations de la politique réfléchissent celles de la pensée religieuse. Le Polythéisme, dont le principe est la pluralité des causes, a pour expression sociale la république. Mais si le Polythéisme s’arrête à la notion des forces, leur hiérarchie se traduit naturellement dans la société : aussi la république romaine est-elle aristocratique. Si la religion s’élève, comme dans l’Hellénisme, à l’idée d’une harmonie de lois indépendantes, le principe d’égalité et de liberté trouve son application dans la démocratie. Nulle part la réalité n’a été si près de l’idéal que dans cette glorieuse commune d’Athènes, qui a inondé le monde de sa lumière, et qui avait dressé au sommet de son acropole la statue de l’invincible Raison. (...)

À la revendication du libre examen des textes sacrés répond, en politique, le système parlementaire ; l’unité du monde est représentée par un Dieu presque abstrait, gouvernant sans miracles au moyen d’une charte, et assez semblable à un roi constitutionnel ou à un président de république moderne. Il faut remarquer que notre système représentatif, même quand le pouvoir central n’est pas héréditaire, n’a rien de commun avec les républiques de l’antiquité, qui avaient pour bases la législation directe et le gouvernement gratuit."



"C'est la gloire de la France d'avoir, par la révolution française, proclamé qu'une nation existe par elle-même. Nous ne devons pas trouver mauvais qu'on nous imite. Le principe des nations est le nôtre."

- Ernest Renan, 1882, conférence "Qu'est-qu'une nation ?" pour exposer la vision française de la nation suite à la défaite de 1870 face à l'Allemagne et l'annexion de l'Alsace-Lorraine.
  

"J'ai vu sur l'Acropole, jonchant la terrasse où s'élève la façade orientale du Parthénon, les débris du petit temple que les Romains, maîtres du monde, avaient élevé en ce lieu à la déesse Rome, et j'avoue que la première idée de cet édifice m'avait paru comme une espèce de profanation. En y songeant mieux, j'ai trouvé que le sacrilège avait son audace sublime.

A la beauté plus parfaite, au droit le plus sacré, Rome savait préférer le salut de Rome, la gloire des armes romaines et, non content de l'en absoudre, le genre humain ne cesse de lui en marquer de la reconnaissance. L’Angleterre contemporaine a donné des exemples de la même implacable vertu antique. Le nationalisme français tend à susciter parmi nous une égale religion de la déesse France.

Il y parviendra, je le crois : il lui sera difficile d'y parvenir sans se rapprocher du sentiments de nos royalistes. Les nationalistes intelligents ne tarderont pas à le voir. La monarchie héréditaire est en France la constitution naturelle, rationnelle, la seule constitution possible du pouvoir central."

- Charles Maurras, 1900, Le Soleil.


"Tel sont nos français dit Dieu. Ils ne sont pas sans défauts. Il s’en faut. Ils ont même beaucoup de défauts. Ils ont plus de défauts que les autres. Mais avec tous leurs défauts je les aime encore mieux que tous les autres (...). O mon peuple français dit Dieu, tu es le seul qui ne fasse point de contorsions (...).

Quant à l’espérance il vaut mieux ne pas en parler: il n’y en a que pour eux. C’est embêtant, dit Dieu, quand il n’y aura plus ces Français. Il y a des choses que je fais. Il n’y aura plus personne pour les comprendre."

- Charles Péguy, 1912, Le mystère des saints innocents.

16 août 2013

La mauvaise foi de l'incroyant

Selon un sondage IFOP de 2011, moins de 20% des Français se déclarent chrétiens pratiquants.

J'aimerais réagir à ça en trois mots.

Chrestomathie : ce qu'il est utile d'apprendre (du grec chrestos, utile et manthein, apprendre). Les sondages d'opinion n'en font pas partie. Ils visent généralement à influencer l'opinion publique plutôt qu'à la mesurer : il est toujours intéressant de voir comment les questions sont posées (dans le sondage cité, on insiste sur l'aspect personnel du rattachement à une religion... typique d'un pays républicain-laïque). Mais peu importe combien de gens prétendent que quelque chose est vrai si ça ne l'est pas, ou comme disait Michel Colucci : "C'est pas parce qu'ils sont nombreux à avoir tort qu'ils ont raison".

Notre société est pleine de personnes endoctrinées, victimes de l'opinion communément admise et des idées reçues, des gens qui croient ce qu'on leur a appris à croire, c'est-à-dire que nos croyances chrétiennes sont fausses, voire dangereuses. Ce faisant ils ne se rendent pas compte qu'ils ont eux aussi des croyances, ni de ce que ces dernière présupposent... et ça, c'est dangereux.

C'est dangereux parce qu'ils agissent comme s'ils étaient une majorité objective et impartiale, et donc habilitée à juger, et à condamner, là où nous ne sommes généralement considérés que comme des superstitieux prisonniers de nos croyances.

Christomachie : lutte contre le Christ (de christos, christ et macheia, combat). Ne pas croire en Dieu n'est une position neutre que si Dieu n'existe pas : si Dieu existe, il n'y a pas de position neutre, il n'y a qu'acceptation ou rejet. L'athée jugera bien sûr de la neutralité de ses croyances sur la base de... ses croyances, et il se trouvera forcément justifié dans son raisonnement. Mais plus encore, si Dieu existe, le non-croyant a au moins deux bonnes raisons de vouloir continuer à nier son existence :

  1. D'abord parce qu'en reconnaissant que Dieu existe, le non-croyant reconnaît l'existence d'un critère absolu de jugement qui lui est extérieur. Autrement dit, il perd l'autonomie de son jugement, il ne peut plus décider uniquement par lui-même du vrai, du faux, du bien, du mal, du juste et de l'injuste, il doit s'en remettre à Dieu. Or quel roi voudrait abdiquer son trône ?
  1. Ensuite, parce qu'en reconnaissant que Dieu existe, le non-croyant reconnaîtrait donc avoir usurpé en partie la place de Dieu en tant que juge suprême pendant un grand nombre d'années, s'exposant par là même à une punition légitime. Or quel coupable voudrait s'exposer à des poursuites judiciaires ?

Critomancie : verdict religieux du juge (du grec krites, juge et manteia, oracle). Comment résoudre le débat si tout le monde juge d'après ses propres croyances, qui l'arbitrera et quel sera le verdict ultime ? Mais cette question suppose que le croyant se trouve dans une position similaire à celle du non-croyant : est-ce le cas ? Il a beaucoup à gagner à réaliser son erreur si c'en est une, et ce d'après les critères qu'il accepte déjà (car comme il est écrit dans la Bible, si Jésus n'est pas ressuscité, notre foi est vaine). D'un autre côté il a aussi à y perdre : toute la cohérence de sa vision du monde. Sa situation est donc plus équilibrée que celle de l'incroyant.

Quant à juger de ses propres croyances, pour le croyant ou l'incroyant, c'est possible, mais il existe une autre méthode que le raisonnement circulaire : à supposer que la cohérence soit un critère de vérité, on peut chercher à vérifier la cohérence de son système de croyances et de sa vision du monde. Cornelius Van Til, grand apologète de la tradition Réformée, prétendait que seul le système chrétien était parfaitement cohérent en soi... (et on verra ça bientôt).