12 juillet 2013

Sacrée France : Introduction

Tant d'illustres français, hommes d’État, poètes, philosophes, historiens ou romanciers ont employé un vocabulaire religieux pour exprimer leur idée de cet état-nation à la française qu'on en vient à se demander s'il s'agit d'un simple usage métaphorique ou si une telle terminologie est plus essentielle qu'il n'y paraît. L'imaginaire collectif des français est depuis toujours peuplé de termes religieux, mais cela n'aurait-il pas dû s'arrêter, ou tout du moins diminuer, depuis la Révolution ?

La secte des idéologues

Bien au contraire, on nous raconte la République comme une grandiose épopée, une entreprise pionnière, c'est la genèse d'une ère de gloire. On pourrait prendre ça pour une réécriture de l'histoire - c'est autre chose : un réenchantement. On ne cherche pas à légitimer le présent par le passé, mais par l'avenir. L'histoire n'a plus de valeur que si elle nous sert à éviter de répéter les mêmes erreurs, c'est le "devoir de mémoire" - vision utilitariste ô combien malvenue.

Avec le développement du rationalisme et la fusion du pourquoi dans le comment, la société a promu les historiens au rang de prêtres modernes. Il suffit maintenant d'exposer les faits pour prétendre en deviner les motifs profonds... Combien de fois entend-on dans un reportage ou lit-on dans un livre qui se veut sérieux : "On peut imaginer que..." pour introduire une hypothèse sans fondement sur laquelle toute une théorie va être bâtie ? La logique défaillante des pseudo-historiens modernes révèle leur intention de propagande. Se laissera-t-on lentement lobotomiser jusqu'à rejoindre leur secte idéologique ?

Ceux-là opèrent une véritable mythification sous couvert de démythification. On crée un vide, et on le remplit : le passé est envisagé comme un tremplin qui doit mener à un avenir plus glorieux que le présent désenchanté.

"Le sacré s'est investi dans la trace qui en est la négation."
     - Pierre Nora, Lieux de Mémoire, I., p.27.

Hagiographie de Marianne

Est-il encore doux et honorable de mourir pour son pays, autrement dit, le patriotisme existe-t-il encore en France ? Tu serais peut-être prêt à mourir pour ta famille, ou pour de grands idéaux comme la liberté ou l'égalité, mais pour la France ? Moi non. En partie parce que "prêt à mourir" veut plus souvent dire "prêt à tuer" dans un pays où l’État a pris le pas sur la Nation, et en partie aussi parce que je reconnais que "Liberté, Égalité, Fraternité" n'est pas la devise de la France mais le slogan de la République (qui cache sa vraie devise : Laïcité, Propriété, Sécurité). Toute la "grandeur" de la France est dans la République.

Considère l'Allemagne : son identité nationale est fondée sur sa culture, l'Allemagne se considère comme un grand pays parce qu'elle croit l'être par nature. Au contraire, notre identité nationale est fondée sur notre civilisation, la France est un grand pays parce qu'elle a accompli de grandes choses. L'être ou le faire, la Nation ou l’État. C'est en partie pour cela que l'idéologie Nazie a pu prendre en Allemagne, tandis qu'en France on a aveuglément accepté le totalitarisme Républicain.

Pour construire une nation, il faut des fondements communs, dont une histoire avant tout. Or quelle histoire de la France enseigne-t-on ? Ou plutôt, l'histoire de quelle France ? Il suffit de regarder ce que l'on commémore : le 14 juillet, la Marseillaise, le drapeau Français, Marianne dans les mairies et sur les pièces de monnaie... tous les symboles de la nation sont issus de la Révolution. Ce n'est donc pas l'histoire de la nation que l'on enseigne, mais celle de l’État. La France telle qu'on la connaît aujourd'hui, telle qu'on ne peut que l'envisager à tout jamais, est une France-République. Et c'est l'histoire républicaine qu'on réenchante (comprenez : qu'on sacralise).

La religion civile

En France, la mémoire fondatrice de la nation est celle de son État, et implique un réenchantement de cet État : c'est la dimension religieuse de la vie politique. Il faut légitimer l'arbitraire de cette institution de manière permanente, elle a besoin de fondements stables, et donc sacrés, tabous... intangibles (on ne peut pas y toucher).

Es-tu choqué que je remette en cause la Révolution ? Comment réagis-tu si je te dis que la République n'est pas la seule forme de démocratie possible, ni même la meilleure, et certainement pas la plus adaptée à l'échelle d'une nation ? Que dirais-tu encore si je critique le bien-fondé de la laïcité ? N'aurais-tu pas le même avis que la majorité des français, ne dirais-tu pas, comme tout le monde, ce qu'on t'a appris à penser ?

"La Révolution Française n'est pas une transition, c'est une origine et un fantasme d'origine" écrit François Furet, historien spécialiste du sujet (Penser la Révolution Française, 1978). Si on a désacralisé la religion et la monarchie absolue, on a sacralisé cette désacralisation, et à leur place on a installé une religion civile absolue : la République Française. C'est le début de l'histoire, celle qu'on nous raconte tout du moins.

Le transfert du sacré

Suite à la Révolution, on a politiquement désacralisé le religieux et religieusement sacralisé le politique. La Révolution elle-même a immédiatement été célébrée, constituée en histoire, en légende dans laquelle puisera constamment la République. Seule autre source de légende, la Grande Guerre : encore un sacrifice sanglant, encore des martyrs pour la Liberté, encore une réconciliation entre le peuple et l’État. C'est bien l'occasion de célébrer une messe nationale pour commémorer l'Armistice...

On donna une portée illimitée à la Révolution avec la DDHC (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen) - car si "Citoyen" ne fait référence qu'aux Français (c'est-à-dire aux républicains), "Homme" a une prétention universelle. La même portée fut appliquée aux guerres dites "mondiales", et l'ONU qui en résulta pour assurer le fameux devoir de mémoire formula clairement sa prétention avec la DUDH (Déclaration Universelle des Droits de l'Homme) en remplaçant le très limité "citoyen" par l'infini "universel".

En somme, les Français ont un rapport religieux à l'autorité, à la politique, à l'histoire, à l’État, bref, à tout ce qui est censé en être dépourvu depuis la Révolution. Qu'est-ce à dire, sinon que la Révolution en fut bien une, c'est-à-dire un grand tournant qui revient à son point de départ ?

Pour le vérifier, je te propose dans les semaines qui viennent de nous intéresser à deux éléments : d'abord les citations qui éclaireront le rapport constamment religieux des dirigeants politiques et médiatiques en France de 1789 à nos jours; ensuite une comparaison de la République Française à l’Église Catholique et à la Monarchie Absolue.

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Cet article est largement inspirée par l'article de Jean-Paul Willaime, De la sacralisation de la France : Lieux de mémoire et imaginaire national (Archives des sciences sociales des religions, 1998, n°66, p.125-145), qui est un commentaire des Lieux de mémoire de Pierre Nora (La République, 1984; La Nation, 1986; Les France, 1992).

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