19 juillet 2013

Laïcité et 14 juillet

Qu'est-ce que la laïcité ? Selon le Larousse et d'autre ressources spécialisées, c'est une séparation de la société civile et de la société religieuse pour rendre cette première impartiale et neutre car indépendante des conceptions religieuses ou partisanes. 

Quelle blague ! Une culture ne peut pas s'organiser sans son culte. Et si on chasse le sacré, c'est pour mieux prendre sa place : la République Française n'a pas séparé la religion de l'État, ni à la Révolution ni en 1905, au contraire si elle a détrôné l'Église Catholique Romaine c'est afin de mieux la remplacer. C'était l'intention explicite de Robespierre, même si cependant il imaginait qu'après un temps le peuple français oublierait son goût pour le sacré... c'était sans compter la nature profondément religieuse de l'homme (ecce homo religiosus1 - ou homo adorans2).

Marianne est une nouvelle Église, et même plus : c'est par nature une Église ante-Catholique (et donc anti-Catholique), qui voulait être Église à la place de l'Église, comme nous le verrons à loisir dans cette série d'articles. Intéressons-nous aujourd'hui à la fête nationale, que nous avons célébrée il y a peu. Une bonne question à se poser, c'est "qu'a-t-on fêté exactement ?" La "prise" de la Bastille... ?

Retour sur l'histoire...

Motivations. D'abord, ce qui a principalement motivé l'insurrection armée en 1789, c'est la faim et la peur d'une famine organisée pour mater les contestations. La Bastille n'a pas été attaquée comme symbole de l'absolutisme royal : d'une part elle ne renfermait plus que 7 détenus dont aucun n'avait été arrêté par lettre de cachet (d'ailleurs seuls 4 à 5% de sa population fut le résultat d'emprisonnements politiques, le reste concernait des gens incarcérés à la demande de leur famille), d'autre part sa terrible réputation était attribuée en partie aux ministres et non exclusivement au Roi lui-même (S.N.H. Linguet, Mémoires sur la Bastille, 1783).

En réalité, après les armes récupérées aux Invalides, ce sont les stocks de poudre et de munitions que la foule est venue chercher à la Bastille. Et même alors, l'attaque n'a pas eu lieu d'emblée : les négociations, certes tendues, étaient en cours pour la reddition pacifique de la Bastille, quand une explosion fit paniquer les deux camps, débouchant sur un carnage. Bilan, une centaine de morts. Est-ce bien cela qu'on fête chaque été avec un feu d'artifice ? Peut-être.

Pourquoi une réponse aussi vague ? Pas pour le politiquement correct (tu me connais), mais plutôt parce que, dans les faits, on ne sait pas exactement si on fête le 14 juillet 1789 ("Prise" de la Bastille) ou le 14 juillet 1790 (Fête de la Fédération). Et c'est intentionnel : comme nous allons le voir, les deux dates ont des symboliques diamétralement opposées, et c'est bien pour ça qu'en 1880, quand la date du jour est devenue officielle, on a omis de préciser l'année de référence.

Au lendemain de la Révolution, tout le système politique et administratif français est restructuré, et des fédérations de gardes nationales se développent. L’Assemblée Constituante y voit une occasion de réconciliation et d'unité, et propose d'unir toutes les fédérations en une seule, proclamant donc une fête de la Fédération. Lyon en tiendra une le 30 mai. C'est le Général Lafayette qui décréta en 1790 le 14 juillet comme fête nationale, la France et ses fédérations convergent vers Paris pour la célébrer (d'où le défilé militaire du 14 juillet). Ce fut partiellement en hommage aux événements de l'année précédente, et partiellement aussi pour les recouvrir d'un nouveau symbole : la réconciliation et l'unité nationale autour du roi et en présence de l'Église Catholique.

En effet, la messe y est célébrée, on chante le Te Deum (cantique chrétien, traditionnellement réservé aux fêtes) et les officiers prêtent un serment de fidélité à la nation, à la loi et au Roi, serment repris par le peuple. Le tout en présence du Roi, qui prête serment lui aussi. Les parisiens présentant cette célébration à la France entière annonçaient d'ailleurs : "Qu'il sera beau le jour de l'alliance des Français!"... On croirait le catéchisme Catholique sur l'eucharistie, répétition de l'alliance qui unit les chrétiens entre eux et avec leur roi céleste. Le drapeau Français, qui avait jusqu'ici toujours été blanc (couleur de la Royauté), se voit complété par le bleu (couleur de Paris) et le rouge (couleur du peuple) : c'est la réconciliation et l'union des trois qui sera le symbole de la nouvelle France.

La Fête de la Fédération n'est célébrée que deux fois pendant la première République : en 1790 et, avec moins d'enthousiasme, en 1792. La fuite du Roi à Varennes début juillet 1791 empêche l'Assemblée de s'y associer, deux ans plus tard c'est l'assassinat de Marat la veille de la fête qui limite sa célébration à l'enceinte de l'Assemblée. Napoléon 1er proclamera ensuite son anniversaire, le 15 août, comme fête nationale (en plus d'être la fête de l'Assomption de Marie depuis au moins 200 ans). Il faudra attendre 1880 pour que les députés rétablissent le 14 juillet, sans messe ni cantique (bref, sans Dieu), et sans préciser non plus de quel 14 juillet il s'agit, pour ménager les républicains et les conservateurs (c'est donc à plus d'un titre une fête de réconciliation et d'unité). Les célébrations reprendront en 1890.

Que fête-t-on donc ? La plupart des gens pensent fêter la "prise" de la Bastille, mais il est probable que les représentations qu'ils en ont n'aient rien à voir avec la réalité. Et la fêteraient-ils, cette réalité, s'ils y avaient assisté ? Quant à la Fête de la Fédération, à défaut d'en exposer clairement la signification, notre 14 juillet en garde au moins la fonction et les symboles (drapeau, défilé militaire) : vecteur de réconciliation et d'unité nationale. L'Église Républicaine célèbre son eucharistie.
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1 R.R. Marrett, Gilford Lectures, 1932. Expression popularisée par M.Eliade, Le Sacré et le Profane, 1974.
2 Schmemann, 1973.

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