25 juin 2010

La foi : privée ou publique ?

"La séparation entre l'Eglise Catholique et l'État intervenue depuis la Révolution française est une excellente chose. Toute confusion entre pouvoir politique et religion a des relents de paganisme: le Christ a proclamé un Royaume qui n'est pas de ce monde. Ceci ne veut pas dire qu'il faille pour autant reléguer la vie chrétienne aux sacristies.

Pareille évolution serait apauvrissante et perverse. Apauvrissante, car ce serait se couper d'une des racines majeures de notre société occidentale. Perverse, car l'espace public n'est jamais `neutre´ du point de vue des convictions. Chassez-en le christianisme et une conviction `anonyme´ prendra insidieusement sa place (telle l'idéologie du marché). Une société démocratique saine ne se bâtit pas sur un consensus plat, mais sur l'enrichissement mutuel de convictions fortes.

Le christianisme est une religion qui proclame que Dieu s'est fait homme. Pour un chrétien, la dimension spirituelle n'est jamais `éthérée´. Comme tout acteur de la société civile, la foi chrétienne a une parole à dire dans les grands débats de l'heure. Le tout est de trouver le ton juste: une forte conviction doit s'allier au respect des opinions divergentes et à une certaine humilité face à la complexité du réel."


- Éric de Beukelaer, Porte-parole francophone de la Conférence épiscopale de Belgique. Propos recueillis par Pascal André (© La Libre Belgique 2002).
___

"Un État ne peut imposer aux citoyens d’obligations inconciliables avec leur vie de croyant.

Quelle que soit la manière dont les intérêts se répartissent dans la relation entre l’État et les organisations religieuses, un État ne peut imposer aux citoyens auxquels il garantit la liberté religieuse, d’obligations inconciliables avec leur vie de croyant – il ne peut leur demander l’impossible.

Au cœur de cette objection centrale se fait entendre une tonalité normative qui renvoie au rôle intégral, et donc à la « place » qu’occupe la religion dans la vie de la personne croyante. La personne pieuse accomplit son existence « à partir » de la foi. La vraie foi n’est pas seulement doctrine, contenu de foi, elle est une source à laquelle la vie entière du croyant se nourrit.

Cette exigence de garder la foi dans le domaine privé ne peut donc s’adresser qu’aux hommes politiques qui, dans le cadre des institutions étatiques, sont soumis au devoir de neutralité par rapport aux visions du monde, et par là même à tous ceux qui briguent un mandat public et présentent pour cela leur candidature.

Quoi qu’il en soit, il convient à l’Etat libéral, qui donne son égale protection à toutes les formes de vie religieuses, de délier les citoyens qui se sentent atteints dans leur identité personnelle de l’obligation de devoir procéder par eux-mêmes, dans la sphère publique, à une stricte démarcation entre raisons séculières et raisons religieuses.


- J. Habermas, philosophe et sociologue.
___

"Il appartient aux convictions religieuses d’un bon nombre de personnes pieuses dans notre société qu’il est de leur devoir de fonder leurs décisions concernant les questions fondamentales de justice sur leurs convictions religieuses. Ce n’est pas pour eux une question de choix.

Leur conviction est qu’ils ont le devoir de s’attacher dans leur vie à la plénitude, à l’intégrité, à l’intégration, qu’ils ont le devoir de permettre que la Verbe de Dieu, l’enseignement de la Torah, les commandements et l’exemple de Jésus, ou quoi que ce soit du même ordre, façonne leur existence comme un tout, y compris par conséquent, leur existence sociale et politique. Leur religion n’a pas trait, pour eux, à autre chose qu’à leur existence sociale et politique ». Leur conception de la justice, fondée sur la religion, leur dicte ce qui est politiquement juste ou injuste."


- P. Weithmann, Religion and the Obligations of Citizenship.
___

"Il faudrait, pour être totalement « intégrés », ne rien exprimer de sa foi et devenir religieusement invisibles : la référence à l’islam devrait totalement disparaître de l’espace publique, les associations « islamiques » ne devraient point s’appeler ainsi, et, dans le fond, l’exercice de la citoyenneté ne devrait jamais s’inspirer des convictions religieuses.

Les partisans de ces positions extrêmes les justifient par la crainte des enfermements communautaires, du communautarisme, et du retour possible des conflits religieux en Occident. On peut comprendre les craintes, mais on est en droit de discuter les remèdes proposés : vouloir effacer ainsi toutes les appartenances au nom de l’unité de la nation est une mesure qui ne fait qu’entretenir un artifice, ou qui s’accroche à une illusion, tant les sociétés occidentales ont changé et ne sont plus homogènes ; par ailleurs le sentiment d’appartenance à une communauté de foi, par exemple, n’est pas forcément un cloisonnement, un enfermement intellectuel et/ou ethnique, et peut même, au contraire, selon la façon dont il est conçu, produire un supplément d’énergie au service de la société dans son ensemble.


- Tariq Ramadan, professeur d'études islamiques à Oxford, Kyoto et Londres.

0 commentaires: