30 septembre 2011

La vérité sur le fils prodigue

Il existe une différence entre croire en Dieu et croire de Dieu qu'il est bon. C'est cette dernière chose qui est réellement l'objet de la foi chrétienne.

Cela, on le voit particulièrement dans la parabole généralement connue sous le titre de "Parabole du Fils Prodigue". En réalité, la première phrase de cette parabole nous renseigne sur son réel sujet : "Un père avait deux fils". Jésus veut nous parler de Dieu le Père, de son Père, de notre Père.

Alors commençons par lire cette parabole.

Le but premier de Jésus n'est pas de nous parler de nous. Mais il parle de nous parce qu'il a besoin d'exposer qui nous sommes pour exposer qui est Dieu – tout se fait en relation. Dieu est un Dieu proche, relationnel. Aucune des distances mises entre l'homme et Dieu ne vient de Dieu, elles sont toutes les œuvres des hommes.

Mais d'abord, où sont les femmes ?

On peut se demander pourquoi la mère n'apparaît pas dans l'histoire. En fait, ce père a un cœur de mère. S'il y avait une mère, cela suggèrerait que la féminité se trouve en dehors de Dieu, mais Dieu a créé l'humain à son image, il les a créé homme et femme (Genèse 1:27). Il ne faut pas s'imaginer un Dieu mâle, ce qui mènerait à tort à une conception machiste du monde.

Un peu de contexte

Pour comprendre ce que Jésus veut dire ici, il faut voir à qui il s'adresse. Cela est dit aux versets 1 et 2 de ce chapitre : "Tous les collabos* et les rebuts de la société s'approchaient de Jésus pour l'entendre. Et les religieux et les intellectuels le critiquaient, disant : Cet homme accueille des rebuts de la société, et mange avec eux."

Dans la parabole, le cadet veut son argent et va vivre une vie de débauche : il représente les parias et les collabos. L'aîné reste quant à lui auprès de son père et se croit meilleur que son petit frère à cause de ça, mais il vit tout aussi mal sa relation au Père, ce qui montre qu'il n'est pas plus proche de lui que le cadet : il représente les intellectuels et les religieux, qui savent ce qu'il faut faire en théorie, mais qui le font pour leur propre réputation, pas par amour réel de Dieu et des autres.

Chaque fils résout le problème de Dieu à sa manière : par le vide, pour le cadet (athéisme, argent, vie dissolue), et par la religion pour l'aîné (morale, loi religieuse). Et ces fils ne sont que les deux visages d'une seule et même personne : nous.

La fuite du cadet

Le cadet assassine symboliquement son père en lui réclamant son héritage avant l'heure, afin de s'éloigner de son influence et de devenir une source d'influence lui-même. Il échoue, épuise ses ressources et finit par devoir se soumettre à l'influence d'un homme qui va l'exploiter et le maintenir dans la misère.

Ce schéma de tuer le Père pour devenir le Père, de tuer Dieu pour devenir son propre Dieu, est typique de la société occidentale, et notamment des écrits de Freud. En France en particulier cette idée est malheureusement très profondément ancrée dans les esprits (voir « Le crépuscule d'une idole », de Michel Onfray).

La course du Père vers le cadet

Le Père voit son fils de loin : il guettait son retour. Il est ému de compassion, et court vers lui, c'est lui qui rompt la distance qui les sépare - bien que dans la société Juive du premier siècle, il soit considéré très indigne de "s'agiter" de la sorte. Le Père se jette au cou de son fils et le couvre littéralement de baisers (rappelez-vous, le fils était pauvre, il a gardé des cochons, et il rentre d'un long voyage, il doit être puant et crasseux).

Et là, alors que le fils avait préparé son discours, le Père l'interrompt juste avant la dernière phrase. Cette dernière phrase "traite-moi comme ton ouvrier", c'est le cadet qui, même vaincu, voulait tenter d'imposer ses conditions. Il pense pouvoir travailler pour son père pour le rembourser, il pense pouvoir justifier son retour, sa place dans la maison de son Père. Mais le Père ne le laisse pas faire : il lui fait remettre le plus beau vêtement, lui donne un anneau (qui symbolise l'autorité sur les possessions du Père), et lui fait mettre des sandales neuves (lui redonnant ainsi sa liberté de partir à tout moment). Enfin, il fait tuer le veau gras pour célébrer le retour de son fils.

Réaction de l'aîné

Le grand frère trouve injuste que le Père offre un veau gras, alors qu'il ne lui a jamais offert ne serait-ce qu'un chevreau. Mais en réalité, c'est l'aîné qui est injuste avec son père.

Pourquoi ? Verset 12 : « Le Père leur partagea l'héritage ». Le fils aîné a donc, en réalité, et grâce à son frère cadet, reçu sa part de l'héritage. Or c'est l'aîné, il a donc dû recevoir deux fois plus que son frère. Le Père n'étant pas mort, et selon la tradition juive et les données bibliques (dans Esther notamment), on imagine facilement qu'il a gardé la moitié de ses biens et distribué l'autre à ses fils selon le ratio 1/3 - 2/3.

Mais l'aîné n'a pas voulu en profiter. Et il se plaint que le Père ne lui offre pas un chevreau ! En quoi le Père avait-il à lui offrir un chevreau quand il lui a déjà donné son héritage ? Il n'a pas voulu croire en la bonté de Dieu, y entrer, la saisir, la recevoir... et il ne peut pas en faire preuve envers son frère. Il vit selon des règles impossiblement strictes, qu'il s'est lui-même fixé. La gratuité du Père est pour lui un scandale, parce qu'il est prisonnier de sa méritocratie. Il ne connaît pas mieux son père que le cadet, et il n'est pas moins perdu.

Réponse du Père

Encore une fois, c'est lui qui rompt la distance, en expliquant au fils ses raisons quand ce dernier refuse d'entrer dans la maison. Il lui enseigne l'alliance qu'il veut faire avec lui au verset 31 :« Tu es constamment avec moi, et tout mes biens sont à toi ».

En conclusion

Christ est un danger pour la religion, la grâce est un danger pour la religion, parce que la religion parle d’efforts, elle prétend parcourir la distance qui existe entre les hommes et Dieu – mais ce sont les hommes qui mettent cette distance ! Et en réalité, c’est Christ qui a parcouru cette distance.

Le roi David a écrit « mon bien, c’est de m’approcher de Dieu » (Psaume 73:28). Il est sorti de cette division, cette opposition entre le bien et le mal. Le bien ce n’est simplement pas le contraire du mal, parce que c’est une conception qui permet de faire une check-list, de se passer de Dieu. On n’a plus besoin de la relation à Dieu quand on a toutes les instructions... Il faut faire les choses avec Dieu, pas pour Dieu.

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* Le terme "collabos" est un choix personnel de traduction. Le terme originel est "percepteur d'impôt", soit un juif qui percevait auprès de son peuple la taxe impériale au profit de l'occupant Romain.

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