6 septembre 2013

Idoles Françaises

Le Tour de France

"L'imaginaire nationaliste se voit ritualisé et popularisé en 1903, par la création du Tour de France, épreuve physique qui est bien à regarder comme "un discours amoureux qui n'en finit pas de décrire et de désirer la nation incarnée" et, devons-nous ajouter, mutilée."

- Rober Belot, Henri Frenay : De la Résistance à l'Europe, 2003.

Si la fameuse épreuve cycliste date du début du 20e siècle, elle ne fait que reprendre un mythe de propagande initié en 1877 par le manuel scolaire "Le Tour de France par deux enfants", qui véhicule des préjugés favorables envers la centralisation (notamment parisienne), la légitimité de la langue française (aux dépens des "patois" régionaux et des langues étrangères), la supériorité de la "race blanche" et la position enviable de la France dans le monde, entre autres.

Cette idée du Tour de France fera d'autres ricochets dans la culture française, notamment lors de sa rencontre dans la seconde moitié du 20e siècle d'une BD qui exploite un autre élément important de l'imaginaire français...

Nos ancêtres les Gaulois 

Le Petit Lavisse, le manuel phare de la IIIe République, commençait ainsi : "Autrefois, notre pays s’appelait la Gaule et ses habitants, les Gaulois". Les Français se veulent descendants directs des Gaulois - on en oublierait presque les Francs à l'époque des Lumières - en tous cas exit les Celtes mystiques et les occupants Romains, exit les barbares Visigoths et les immigrants Bretons, exit les minorités juives et les avancées arabo-musulmanes... et vive Vercingétorix ! - figure emblématique s'il en est de la résistance à l'Empire Romain.

Ce mythe ethnique sera popularisé par la BD Astérix le Gaulois, dont l'un des albums, "Le Tour de Gaule", établit des parallèles avec "Le Tour de France par deux enfants". Une culture française idéalisée y sera représentée : les gaulois ont la peau blanche, les cheveux blonds et roux, et des moustaches fournies; ils chassent le sanglier et résistent à l'envahisseur / occupant... et surtout, chaque aventure se conclue par un banquet.

Ajoutons à cela l'emblème national : le Coq, mais pas n'importe lequel, le Coq Gaulois. Certes, Galus veut dire à la fois coq et Gaulois en Latin, une coïncidence qui renforce ces fables arrangées, mais à l'époque, il n'y avait pas une Gaule mais deux : le sud de la France actuelle (Gaule transalpine) et l'Italie (Gaule cisalpine). La Gaule n'a pas de réalité "française" avant la chute de l'Empire Romain d'occident, et aucune tribu gauloise n'a jamais pris le coq pour emblème.

Ce n'est qu'au Moyen-Âge que le coq acquiert une symbolique particulière : il représente la foi et l'espoir. A la Renaissance le symbole est suffisamment répandu pour être populaire et la Révolution le sacre emblème national. S'en suivra une alternance entre le coq et l'aigle impérial (sous les Napoléon) mais au final la reprise de l'aigle par l'empire de Prusse finira de convaincre les français de faire du coq leur emblème exclusif.

La République démocratique

On redécouvre selon que ça nous arrange la généalogie des Francs : ils descendent non pas des "Gaulois" mais des Troyens - et par amalgame on en revient à l'héritage grec de la démocratie...

Aux États-Unis, les deux principaux partis politiques opposés sont le parti Républicain et le parti Démocrate. Une telle opposition n'a aucun sens dans l'esprit français, car on ignore ici (on nous a appris à ignorer) que la République, et surtout telle qu'on la connaît, n'est pas la seule ni forcément la meilleure forme de Démocratie. D'ailleurs nos statues de la République reprennent largement la forme des statues grecques antiques de la démocratie.

Nous sommes dans un système mixte : semi-direct et semi-présidentiel. On ignore les systèmes directs, représentatifs, par tirage au sort ; on ignore les différentes versions de notre système mixte (parlementaire, présidentiel, ou participatif par exemple) ; on ignore que la monarchie n'est pas l'opposé de la démocratie (comme le prouvent la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, le Japon, l'Espagne, le Royaume-Uni et 15 autres pays du Commonwealth, entre autres).

Tout cela parce que la République est le premier système politique de l'Histoire révisée de France qui commence en 1789 (c'est en tous cas ce qu'on choisit de croire, puisqu'on préfère oublier la monarchie constitutionnelle), et ce sera le dernier (qui songerait spontanément à ne serait-ce que changer de système de république aujourd'hui ?). La République est l'alpha et l'oméga de la nouvelle Histoire de France, elle est son origine et son salut, sa conception virginale et sa résurrection (car c'est elle qui l'a fait naître des cendres de la Monarchie Absolue et qui l'a relevé de la Seconde Guerre Mondiale comme de la mort).

Ses attributs sont directement tirés de la Bible. Par exemple, le socle de sa statue sur la place de la République à Paris est orné (outre d'un véritable "chemin de croix" de la République) de trois statues illustrant sa devise : Liberté (portant le bonnet phrygien, parfois au bout d'une pique pour rappeler que la liberté s'acquiert par les armes - c'est-à-dire la Révolution), Egalité (qui tient une Bible et une balance qui symbolise le Jugemement dernier) et Fraternité (symbolisé par un lion et un agneau attelés côte-à-côte et menés par des enfants, ce qui n'est pas sans rappeler Esaïe 11,6). Elle est le messie moderne qui éclaire le genre humain avec ses Tables de la Loi (la DDHC), le libère par sa justice égalitaire et le réconcilie par son dogme fraternaliste. 

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